dire si la substance canadienne est plus abondante que dans Maria Chapdelaine — et elle y est peut-être trop abondante — l’art dont est tissée cette étoffe, ou arrangée et fondue cette substance, n’y est pas aussi parfait. Et c’est par leur valeur d’art que se hiérarchisent les œuvres littéraires.
Il reste à M. Desrosiers d’avoir écrit le meilleur roman canadien, fait par un Canadien, qui ait paru chez nous depuis trente ans. Et cela doit suffire pour le moment à son ambition d’artiste.
Je rappelle avant de finir que M. Desrosiers a osé écrire ce roman sans le charger du vocabulaire des gens du peuple. Il l’a écrit dans la langue littéraire, et il a pourtant réussi non seulement à écrire en une très bonne langue, mais à donner plus d’une fois par le tour du dialogue, et le mouvement brusque des pensées, l’impression de la vie populaire. Son livre est profondément régionaliste tout en étant bien écrit.
Les citations que nous avons faites suffisent à montrer la qualité du style de M. Desrosiers. Ce style est net, clair. L’auteur préfère la phrase courte, brève. Cette phrase se remplit volontiers d’images, le plus souvent justes et originales. La pensée se présente habituellement sous une forme concrète, même quand elle porte sur des abstractions, des analyses d’âmes, ou des états psychologiques. M. Desrosiers n’a qu’à purger son style de l’excès de ses qualités, d’une certaine contention, de rapprochements forcés, et surtout de quelques métaphores ou comparaisons fausses, pour le faire excellent.
Nord-Sud classe son auteur parmi nos meilleurs écrivains. Si l’auteur continue à monter dans la voie où il vient de s’engager, il laissera sûrement dans notre littérature une œuvre de rare mérite.
Octobre 1931.