les arbres étaient enchantés. Touchées par l’automne, les feuilles jaunes, rouges, orange, la pourpre des vignes qui s’écoulait comme une traînée de sang, le rose des érables, formaient de grands bouquets éclatants, filtraient et coloraient l’air autour d’eux, donnaient leurs nuances à la lumière du jour. On aurait dit que le soleil frappait à travers de hautes verrières qui s’allumaient ou s’éteignaient selon qu’il luisait de tout son éclat ou se cachait sous un nuage. Au loin la brume estompait ces couleurs vives qui se mariaient par dégradations successives comme en un tapis vieux rose ; ou bien, trop vives, elles déchiraient ce voile de vapeur. »[1]
À travers tous ces tableaux et toutes ces scènes de vie ou de nature, il y a des portraits. Parmi les mieux réussis : le vieux notaire Fiacribus, la vieille Gotte, le quêteux poissonnier, le vieil Antoine racontant des histoires.
Mais il est plus difficile de décrire des âmes que des choses. Les études d’âme sont la pierre de touche du romancier. Et il faut reconnaître que M. Desrosiers, qui est plus volontiers descriptif que psychologue, analyse pourtant avec finesse les âmes. À l’occasion, il les pénètre et il les fouille ; et il étale avec minutie leurs ondoyantes variations. On aime à s’attarder avec lui dans ces examens de conscience où son regard scrute avec acuité. Lisez le portrait moral de Vincent, où les atavismes ont compliqué les ambitions.
« Des métissages avec des races plus lourdes avaient éteint dans une certaine mesure la vivacité primitive. Mais de temps à autre, au moindre prétexte reparaissait le Douaire primitif, qui se cabrait tout à coup comme un cheval vicieux, abandonnait la charrue, brisait son licol et partait à la recherche d’aventures…
« Vincent tenait en plus de sa grand’mère, Gotte Malbœuf, une sensibilité profonde, presque maladive, de la
- ↑ P. 143.