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JUANA, MON AIMÉE

Ainsi se déroule à travers des affections incertaines et douloureuses le rapide récit de Juana, mon aimée. Je ne ferai que signaler la qualité du style dont le livre est écrit.

J’ai déjà dit sa brièveté rapide. Harry Bernard n’a pas cédé à une dangereuse facilité d’expression qui l’a déjà desservi. Tout au plus peut-on observer encore que ce style pourrait s’imprimer avec plus de relief, en des mots plus forts et en des formes plus vigoureuses, sur la matière du livre.

Ce qui plaît dans le récit, c’est l’allure toute spontanée de la pensée et de l’expression, avec en plus des images brèves, caractéristiques : « Les sillons de terre noire s’alignaient côte à côte comme de courtes vagues immobiles (p. 98) ; la prairie, à l’automne, prit des tons de bronze terni (p. 172) ; il neigeait… de grandes rafales passaient sur la plaine, qui se bossuait de vagues blanches et bleues, ourlées de lumière pâle » (p. 191). Il y a parfois des traits courts qui eux-mêmes font image : les blés poussaient dru : ils étaient d’un vert pâle, qui pâlissait encore lorsque le vent les courbait (p. 113).

Tout le récit de ce roman est à la première personne. C’est en somme un journal, un journal où l’auteur aurait soigneusement consigné une histoire, une idylle qui ne lui est peut-être pas arrivée. Ce fut pour Harry Bernard une façon heureuse de raconter ses impressions de la Saskatchewan. Cette forme toute personnelle du récit a sûrement provoqué chez lui une émotion plus intense qui s’est communiquée au récit. Ce récit est une confidence, largement fictive ; mais les confidences font toujours sourdre de l’âme toute la tendresse qui y est captive, et elles font le style plus sincère et plus attachant. Les légers défauts qui restent encore dans la phrase sont comme noyés dans le flot continu, jaillissant, rapide qui porte la pensée et les souvenirs.

Mars 1932.