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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

me il y a de l’éloquence dans tous ces personnages ! Qui donc a dit que nous étions un peuple d’orateurs ? Le roman de M. Bernier va le faire croire à beaucoup de gens ; et il n’est pas bon que trop de gens s’imaginent que nous érigeons des tribunes partout où la vie sociale nous rassemble.

C’est sans doute parce que les dialogues sont un peu trop uniformes, que les caractères mêmes des personnages ne s’y accusent pas suffisamment. On aimerait y voir des âmes plus différentes, plus riches de détails, et s’exprimant en des formules plus personnelles. C’est surtout par leurs pensées essentielles, par leurs convictions doctrinales et en quelque sorte par leurs sommets, que ces âmes se montrent, se révèlent les unes aux autres : et cela fait qu’elles ne découvrent pas toujours assez les multiples, intimes, secrètes impressions, les variables et obscurs sentiments, tout ce qui constitue le fond intéressant, et, si j’ose dire, le sous-sol de la conscience.

De tous les portraits qu’a esquissés l’auteur, ceux de Jules, de Marguerite et de Jeanne sont les mieux réussis. Les pères de famille ont été trop sacrifiés. Tous les personnages du roman eussent été, d’ailleurs, plus attachants, s’ils avaient été plus complètement jetés en pleine vie canadienne, s’ils avaient été, je ne dis pas mieux encadrés de paysages canadiens, car, d’ordinaire, ils sont situés dans des décors bien précis, mais plus enveloppés de l’atmosphère de chez nous, et pour dire mieux encore, plus pétris de mœurs et d’habitudes canadiennes. Ils eussent été alors moins livresques et plus réels. M. Bernier a mieux vu les spectacles de la nature que ceux de la vie intérieure. Que de belles pages il a écrites sur Québec, Sainte-Anne de Beaupré et le Cap Tourmen-