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LES ANCIENS CANADIENS

Ce fut une clameur immense. La débâcle ! la débâcle ! Sauvez-vous ! sauvez-vous ! s’écrièrent les spectateurs sur le rivage.

« En effet, les glaces éclataient de toutes parts, sous la pression de l’eau qui, se précipitant par torrents, envahissait déjà les deux rives. Il s’ensuivit un désordre affreux, un bouleversement de glaces qui s’amoncelaient les unes sur les autres avec un fracas épouvantable, et qui, après s’être élevées à une grande hauteur, surnageaient ou disparaissaient sous les flots. Les planches, les madriers sautaient, dansaient, comme s’ils eussent été les jouets de l’océan soulevé par la tempête. Les amarres et les câbles menaçaient de se rompre à chaque instant. »[1]

Ce fut pendant ces scènes indescriptibles de confusion, où la plus vive anxiété, l’espérance et l’angoisse secouaient tour à tour les spectateurs, que Jules et Arché arrivèrent au rivage ; et l’on sait comment Arché, n’écoutant que son vaillant cœur, s’élança, les reins ceinturés d’une forte amarre, dans la rivière, et comment, se laissant emporter par les flots déchaînés, il s’en alla recueillir, au vieux tronc de cèdre où il s’était cramponné, mais que les glaces menaçaient à chaque instant d’arracher, l’infortuné Dumais.

Ce sauvetage héroïque constitue l’un des chapitres les mieux écrits de toute l’œuvre de Gaspé. Le mouvement des foules, des glaces et des eaux y est décrit avec une telle ampleur et une telle variété, qu’une vie intense déborde de ces pages, et que nulle part ailleurs, dans ce livre, on ne voit l’histoire des humbles s’élargir avec plus de puissance, et devenir plus naturellement de la véritable et très vaillante épopée.

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