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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

par M. Bernier, et auquel deux de ses personnages apportent leurs solutions contraires.

Augustin Hébert désespère, lui, de voir se former ici « une » âme nationale. Cette âme ne serait possible que dans la fusion des races diverses qui se partagent notre sol : et nous, Canadiens français, nous ne voulons pas nous laisser absorber. Par contre, les Anglais n’entendent pas que survive ici l’âme française. D’où résultera un perpétuel conflit. Aussi longtemps que nous resterons nous-mêmes, il sera impossible de façonner l’âme canadienne : celle-ci n’est qu’une chimère politique, un rêve d’utopiste.

Jules pense autrement que son père. Son patriotisme est plus large. Il ne croit pas à l’éternelle antipathie des races anglaise et française au Canada. Il veut s’employer à faire comprendre aux Anglais la légitimité de nos traditions, de nos usages, de nos revendications ; il espère en l’entente cordiale, et il estime donc qu’« une âme canadienne » est ici possible, puisque l’âme canadienne, telle qu’il la conçoit, c’est « l’amour du pays dans l’autonomie des races. »

Il va bientôt, d’ailleurs, s’employer à détruire les vieux préjugés de races. Voici les élections de septembre qui se préparent. Et Jules pose sa candidature dans une circonscription électorale : il est le « candidat de l’âme canadienne ». Demain, il sera l’élu de « l’âme canadienne », et il fera à Ottawa, de son siège de député, un grand discours sur l’« âme canadienne ».

Et l’on est ainsi emporté par la vie personnelle de Jules vers des aspects nouveaux, plus larges, de la thèse que l’auteur a voulu exposer. Et l’on est ainsi, pour quelques heures, arraché aux inquiétudes de la passion. C’est donc, dans le roman que nous analysons, le patriotisme et la haute politique qui se mêlent à l’amour. L’amour d’une femme se complique de l’amour de la patrie. Et l’amour de la patrie traverse et contrarie