thèse plus générale, qui tient peu de place, et en réalité, trop peu de place, dans le plan du livre. Si Jules Hébert renonce d’abord à épouser Marguerite Delorme ; si madame Hébert, avec onction, persuade Jules de ne pas épouser la libre penseuse ; si Augustin Hébert s’emporte en une sauvage et trop brutale colère contre son fils amoureux de la fille d’un sectaire, c’est que Jules Hébert, madame Hébert et Augustin Hébert, sont des Canadiens de vieille souche, descendant du premier colon de la Nouvelle-France, gardiens jaloux des traditions, fidèles à la race. Et parce que la foi catholique est partie intégrante de l’âme canadienne-française, Jules ne pourrait, sans forfaire, mêler son âme et sa vie à la vie, à l’âme d’une femme athée, irréligieuse. Une telle conception du devoir s’identifie avec la piété des Hébert ; on ne la discute pas ; on ne suppose même pas qu’elle puisse être discutée ; et on l’affirme parfois avec une violence qui nous décourage tout de suite de penser autrement.
La maison des Remparts, où logent les Hébert, est donc un foyer de patriotes chrétiens. Le patriotisme y est vigilant ; il s’y tient à l’affût ; sans cesse il regarde à travers les meurtrières, tout comme les vieux canons de la grande batterie. Gare à qui voudrait entamer l’âme de Québec !
Voilà, en son dessin essentiel, l’un des aspects de cette thèse générale que développe M. Bernier.
Mais cette thèse ne peut s’enfermer en une formule aussi courte. L’âme de Québec, qu’il importe de défendre et de garder, est-ce bien l’âme tout entière de la patrie ? L’âme de Québec est-elle toute l’âme canadienne ? Une « âme canadienne » peut-elle seulement exister chez un peuple où se rencontrent et se froissent quelquefois, où s’opposent souvent, tant d’éléments divers et disparates que nous fournit l’immigration ? L’âme canadienne, ainsi formée de tant d’esprits qui s’y rassemblent, est singulièrement ! composite. Sa complexité même n’en compromet-elle pas l’unité ? Voilà tout le problème posé