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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

Sainte-Anne de Beaupré, le spectacle des foules qui adorent et qui prient remue jusqu’aux entrailles la jeune libre penseuse. Le doute pénètre en l’esprit de Marguerite. Entraînée par le mouvement des pèlerins qui se prosternent, elle ploie ses genoux, à côté de Jeanne, sur le pavé de la basilique. Quand, tout à l’heure, elle se retrouvera avec son père, admirant avec lui les grandes forces de la nature, l’irrésistible puissance de la chute Montmorency, elle désavouera bien dans sa conscience son premier geste de piété, elle reviendra bien encore à la certitude des doctrines paternelles : mais la libre penseuse oscillera désormais entre deux influences contraires.

Aussi, Marguerite et Jules, en dépit des obstacles qui s’opposent à leur union, se cherchent toujours. La politique où Jules doit s’absorber, et la campagne électorale où il pose sa candidature ; la colère violente des parents — celle des parents de Jules quand ils apprennent que leur fils aime la Française impie, celle de Gilbert Delorme, quand il apprend que sa fille aime le jeune Canadien catholique — ne peuvent empêcher les deux amoureux de se rapprocher toujours, et douloureusement, de l’écueil. Ils voient arriver avec désespoir l’heure de la séparation. Une excursion au Cap Tourmente, fort joliment racontée, nous fait assister à la scène des adieux : Jules et Marguerite s’aimeront, à jamais séparés par la barrière ; leur amour sera brisé par l’écueil.

Mais n’oublions pas que le roman s’intitule : Au large de l’Écueil. Il n’est donc pas fini. La veille du départ des Delorme pour l’Ouest, Marguerite, souffrante de son amour trop brutalement blessé par la colère du père, tombe malade au Château Frontenac. Une fièvre intense la dévore. Des cicatrices mal fermées, restes d’une méningite qui, dans son enfance, avait failli la rendre aveugle, se rouvrent sous l’action de la douleur et des larmes. Les yeux de Marguerite s’obscurcissent. Elle souffre, bientôt elle ne verra plus la lumière. Mais la jeune fille veut guérir. Elle appelle au secours : « Sauvez-