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AU LARGE DE L’ÉCUEIL

délicate, sensible, qui accompagne ses parents en tournée d’Amérique. Marguerite Delorme est fille de Gilbert Delorme, libre penseur, anticlérical, sectaire, antipatriote, hervéiste. Douée de qualités intellectuelles, de vertus morales supérieures, elle a été élevée par son père dans le fanatisme le plus étroit ; elle n’a pas d’autre religion que le dogme de la matière éternelle, et celui du progrès incessant, indéfini, de l’humanité.

Les deux jeunes gens ont causé sur le bateau. Ils ont vite découvert que leurs âmes étaient belles. Et maintenant que l’on remonte le fleuve, que l’on voit chaque jour se dérouler en spectacles imposants ou pittoresques, larges et gracieux, toujours variés, les rives du Saint-Laurent, c’est Jules Hébert qui explique à Marguerite, et lui vante les beautés de la terre canadienne. Au moment de se quitter, l’un et l’autre mesurent toute la profondeur du sentiment, l’intensité de l’affection qui déjà les unit. Ils n’osent pourtant se confier l’un à l’autre ces troublantes émotions. Jules est catholique : il ne peut, sans renier les traditions de sa famille, sans trahir « l’âme canadienne », songer à épouser une femme irréligieuse. Marguerite sait bien aussi que jamais son père ne consentirait à la donner à un jeune homme qui est profondément croyant.

Cependant, les jeunes gens ont promis de se revoir à Québec, avant le départ des Delorme pour l’Ouest. Ils se revoient ; ils font ensemble le tour de la ville, ensemble ils vont à Sainte-Anne de Beaupré… et voilà que jaillissent et se répandent de leurs lèvres les confidences brûlantes. Ils ne peuvent s’empêcher de s’avouer discrètement leur amour. Leurs âmes voudraient se rejoindre, mais l’écueil est là, qui les sépare, l’écueil tourmenté où se heurterait vainement leur commune espérance.

La passion de Marguerite se nuance d’admiration pour l’élévation morale de Jules, et pour l’exquise délicatesse de sa soeur, Jeanne Hébert. Elle ne peut croire que des âmes si nobles ne soient pas éclairées de vérités… À