sans doute beaucoup de cette sorte d’imagination et de cette sorte de sensibilité qu’il faut pour bien décrire et pour décrire longuement. On sait, en effet, que pour peindre la réalité, il ne suffit pas de seulement bien voir, mais il faut aussi bien imaginer et surtout facilement s’émouvoir. C’est à travers toutes nos facultés sensibles que doivent passer nos visions de la nature ; et ce sont ces facultés, selon qu’elles sont plus ou moins délicates et souples, qui enchantent les spectacles, qui les animent, qui les colorent, qui les transforment, qui leur donnent leur poésie et leur très variable signification. Un paysage est un état d’âme, disait fort justement ce pauvre Amiel.
Or, il paraît certain que Laure Conan manque un peu de cette imagination qu’il faut pour bien voir et pour bien peindre ce que l’on a vu. Ce n’est pas qu’elle ne puisse jeter sur la nature de rapides et très intelligents coups d’œil ; mais elle se lasse vite de regarder, et si parfois elle a des mots pittoresques qui font image, elle ne peut prolonger son regard, ni, par lui, envelopper de bien larges tableaux. Ses descriptions ne dépassent guère quelques lignes ; ce sont plutôt des canevas, très délicatement indiqués d’ailleurs.
« Insensiblement, ils se rapprochaient du rivage. Le bruit des eaux limpides de la rivière Saint-Pierre, quelques mugissements, quelques tintements de clochettes dans les herbages de la grève troublaient le silence. Encore parée d’éclatants feuillages, l’île de Montréal se détachait dans la gloire du couchant ; et sur la Pointe-à-Callières, aux bords des eaux brillantes, le berceau de Villemarie, voilé de brumes lumineuses, semblait osciller aux brises du ciel[1] ».
Ces lignes qui sont écrites par une main très fine caractérisent la manière à la fois exquise et un peu fuyante de Laure Conan quand elle essaie de crayonner.
- ↑ L’Oublié, p. 98.