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L’OUBLIÉ

longues veillées d’hiver ; considérez comme se préparent au combat ces seize jeunes gens qui suivent dans l’héroïsme et dans la mort notre admirable Daulac. Et tout le livre de Laure Conan est pénétré de cette foi robuste et de ce christianisme si sincère et si agissant, qui animaient nos pères en général, et les premiers habitants de Montréal en particulier. Et peut-être même est-ce pour cela que l’auteur n’a pas osé y introduire plus d’invention personnelle ni plus de romanesque. Ce livre où l’on devait raconter de si pieuses choses, paraît craindre de devenir un véritable roman.

Mais où l’imagination de Laure Conan pouvait davantage, et sans nulle timidité, s’ébattre et s’envoler, c’est dans la description des lieux où elle situe ses personnages. Quel plus important décor, quel plus gracieux et quel plus varié ? La forêt vierge ou à peine entamée par la hache du colon ; les champs cultivés où ondoie la moisson dorée, et qui font à travers les bois de grandes clairières lumineuses ; le petit coin de terre où Lambert a construit sa maisonnette, et où il mène sa douce vie de famille ; et tout ce paysage limité, agrandi par le fleuve qui le contourne, l’enveloppe et le remplit de l’éternel murmure de ses eaux profondes.

N’est-ce pas que l’auteur a dû être fortement tentée de s’attarder à décrire cette nature d’Amérique, si facilement grandiose, et, à l’époque où nous nous reportons, si sauvage encore et si mystérieuse ? Laure Conan n’a pas voulu céder à cette tentation pourtant séduisante ; elle est d’une sobriété attique, voisine de la sécheresse. Et comme nous voilà loin des pages exubérantes, des plantureuses descriptions de Marmette !

Au surplus, Laure Conan paraît bien de ne pas se complaire dans le genre descriptif. L’abbé Delille doit être pour elle le dernier des écrivains ; et de le penser, en tout cas, elle n’aurait pas tout à fait tort, ni non plus tout à fait raison. Elle se console, d’ailleurs, par le peu de cas qu’elle fait de la description, de n’avoir pas