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ture qui nous fait trouver plus joli, le chemin que nous parcourons.

— Tous mes compliments, mon cher ami ; la charmeuse au regard tendre qui a le don de te plaire compte en toi un vaillant défenseur…

— Ce n’est pas cela, Pierre, dit Joseph avec une pointe de malice. Comprends !… dans mes voyages j’ai vu tant d’yeux noirs que je ne puis les trouver beaux, quoique à vrai dire, presque chaque fois, leur propriétaire était… une sauvagesse… Les beaux yeux noirs que j’aie vus depuis mon retour de l’ouest, sont… le devines-tu ceux de Mlle de la Périère !

— Vilain gouailleur !… mais, mon pauvre Joseph, voilà que ton cœur va battre plus allègrement, parce que tu as rencontré une jeune fille dont la figure te plaît… et toi qui dois repartir bientôt avec ton père, à la découverte de la mer de l’ouest ! Qui sait si tu reviendras de ce lointain et périlleux voyage ?…

— Tu as bien raison, mais, je t’en prie, ne m’attriste pas avec de telles pensées. J’aurai bien le loisir de songer à cela sous peu… D’ailleurs, Pierre, il faut que je parte, et maintenant encore plus qu’hier… Tu connais l’état de notre fortune… À découvrir des pays nouveaux pour le roi, nous n’avons cueilli que des dettes. Eh bien ! malgré cela, mon père n’est pas découragé, et quoique les années lui pèsent un peu plus sur les épaules, il est tout joyeux actuellement, parce que le gouverneur lui confie une autre expédition au Nord-ouest. Moi, je ne suis ici que pour aider à mon père dans cette entreprise. Il m’a fait venir du fort Saint-Charles, où j’étais, seulement que pour cela.

— Et tu attends beaucoup de cette nouvelle excursion ?

— Oui, cette fois-ci, nous comptons en recevoir plus de profit qu’en nos voyages antérieurs.

En parlant de la sorte, les deux hommes, tournant au coin de la rue Saint-Paul, avaient remonté la rue Saint-Charles et passé devant la résidence de M. de la Jonquière ; un peu plus loin, au haut de la côte, ils se trouvaient en face de l’église et de la maison des Jésuites. Ils tournèrent à gauche et s’en allèrent par la rue Notre-Dame, toujours précédés de Baptiste et de Jacques, leurs domestiques, qui, eux aussi, causaient amicalement.

On avait passé du même pas régulier, à gauche, les rues Saint-Vincent, Saint-Gabriel et Saint-Jean-Baptiste, et à droite les rues Saint-Gabriel et Saint-Lambert. La rue Saint-Gabriel était la seule dans cette partie de Montréal qui coupait la rue Notre-Dame en deux.

À quelques pas au-delà de la rue Saint-Lambert, un cri d’horreur, échappé à Baptiste et à Jacques, arrêta tout à coup la conversation de MM. de la Vérendrie et de Noyelles.

— Qu’y a-t-il ? demandèrent ensemble les deux amis, hâtant le pas et rejoignant leurs éclaireurs.

— M’sieu, répondit Baptiste, en allongeant le bras gauche et indiquant à deux ou trois pas en avant une masse sombre sur le sol, voyez, là ! un crime a été commis, un meurtre !… Nous avons cru voir du sang !

— Approche avec ta lanterne que nous nous en assurions. Peut-être n’est-ce qu’un amant de la bouteille qui gît là, inanimé.

— Non, regarde, dit M. de Noyelles à Joseph. Vois, ce sang qui coule de l’un des côtés de ce malheureux !… Et tiens, le couteau qui a servi au forfait est encore enfoncé dans le corps de cet homme !

À ce moment, on entendit une faible plainte s’échapper des lèvres du blessé.

— Il vit ! s’écria-t-on.

M. de la Vérendrie s’était emparé d’une des lanternes, et, s’approchant de la personne étendue sans mouvement sur le sol, il la reconnut.

— Eh ! je le connais bien, dit-il, surpris. C’est le vieux Mandane, le Bison, qui nous a suivis dans une partie de nos explorations. Puisqu’il vit encore, il faut l’enlever d’ici, où il trépasserait bien vite.

— Il y a une auberge à deux pas d’ici, dit Jacques ; si nous le transportions là ?

— C’est ça, approuva Pierre de Noyelles. Toi et Baptiste allez frapper à cette maison et faites-vous ouvrir ; puis, vous reviendrez nous aider à le porter chez cet aubergiste.

Ceci s’exécuta promptement, et la victime trouvée dans la rue fut placée sur un lit dans l’auberge.

Aussitôt une ombre se détacha d’une porte cochère voisine et s’approcha avec précaution de la maison où venait d’entrer le petit groupe. L’ombre vint s’appuyer contre l’un des volets de l’auberge et, à travers les fentes, chercha à voir ce qui se passait à l’intérieur.