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Pierre à la dérobée avait examiné la jeune fille et la trouvait… de son goût, et quand un homme se dit en voyant une femme, qu’elle lui plaît, c’est qu’il la trouve exquise. Donc, Pierre avait remarqué en l’Espagnole une agréable figure ; un pied bien cambré ; une main de duchesse ; un menton où se creusait coquettement une fossette ; deux lèvres ni trop minces ni trop épaisses dénotant la bonté, mais d’un beau rose, provoquant un désir fou de les baiser ; — c’est ce que pensait M. de Noyelles, — le nez un peu gros, peut-être ; les oreilles moyennes et bien ourlées ; mais les yeux… les yeux de la nuance qu’aimait l’ami de Joseph : noirs… et des plus beaux qu’il eut vus !

Après s’être nommés, Pierre et Joseph, pensant qu’elle aimerait mieux être seule, prirent congé d’elle. Dans l’après-midi, elle fit dire aux deux officiers qu’elle était prête à les recevoir s’ils condescendaient à venir chez elle.

— Senors, dit l’Espagnole en s’avançant de quelques pas au-devant d’eux à leur entrée ; senors ! comment vous remercier de m’avoir arrachée des mains de ces barbares ? Comment vous dire ce que mon cœur ressent de reconnaissance, de gratitude, parce que vous m’avez soustraite à la triste destinée à laquelle j’étais vouée ? Croyez-le, bien, senors : Je prierai Dieu pour vous chaque jour… jusqu’à mon dernier soupir !…

Et la jeune fille émue, s’arrêta un moment.

Elle offrit des sièges à ses visiteurs et prit place elle-même près de la table.

— Oh ! mademoiselle, dit Joseph ; toute autre personne civilisée de la race blanche eut agi comme nous. Le bon Dieu a voulu qu’hier soir nous fussions près du ouigouame du chef des Yahtcheilinis au moment où nous vous avons entendu exhaler le trop plein de votre tristesse, dans un chant mélancolique de votre pays ; puis, les sanglots qui succédèrent et la voix rude qui vous parla nous confirmèrent immédiatement qu’elle était votre infortune. Dès ce moment, nous nous jurions de vous sauver !

— Nous vous aurions délivrée à l’instant, dit Pierre, si nous n’avions pas surpris alors le projet d’un envahissement du fort et de notre massacre à tous. Il nous fallait d’abord aviser au plus pressé ; mais nous avons eu la main heureuse ; nos assaillants étaient conduits par le fils du Corbeau et nous avons pu les faire tous prisonniers sans coup férir ; nous étions en mesure alors de dicter au Corbeau des conditions qu’il ne pouvait refuser. S’il eut refusé, nos fusils eussent parlé pour votre délivrance.

Pierre s’exprimait avec feu. Si la senorita eut été moins attrayante, quelles auraient été les paroles du jeune homme ?… Mais passons, cela n’est pas charitable !

— Ah ! dit-elle, que de reconnaissance je vous dois pour vos desseins nobles et généreux et l’acte qui les couronna !

— Veuillez n’en plus parler, mademoiselle, dit Joseph : ce que nous avons fait, — une autre bonne action, — nous réjoui le cœur ; et d’autant plus que cette bonne action est en faveur d’une personne si accomplie.

— Dieu vous bénira pour cela… Votre curiosité, senors, s’est sans doute éveillée à mon égard, et vous aimeriez à connaître mon histoire ?… Hélas ! elle est courte et bien triste !

— Si nous connaissions les détails de votre enlèvement ou de votre captivité par les sauvages, peut-être pourrions-nous vous ramener à vos parents, à vos amis ? dit Pierre. Ce serait là le seul motif de notre curiosité.

— Je n’ai plus de parents ; mon père a été tué par les méchants hommes rouges qui m’ont emmenée en captivité, et tous nos amis ont subi le même sort que mon père.

Et les yeux de la jeune fille s’emplirent de larmes.

— Plus tard, reprit vivement Joseph ; plus tard, mademoiselle, vous nous raconterez vos malheurs, s’il vous plaît de le faire. Aujourd’hui, le souvenir en est trop cuisant et ne peut que vous attrister. Soyez assurée d’une chose : nous ferons tout notre possible pour adoucir vos misères, et, au printemps prochain nous retournerons à Montréal, à Québec. Là, vous pourrez vous mettre sous la protection du gouverneur de la colonie, lequel vous donnera le moyen de retourner en votre pays, où vous retrouverez des amis sinon des parents pour vous recevoir.

Les deux officiers se levèrent et saluant l’Espagnole, sortirent.

XIV

SECOND VOYAGE À LA PIPE

La froide saison annonçait sa venue ; déjà l’on avait vu quelques flocons de neige, par un ciel couvert de novembre, s’agiter et voleter follement au caprice de la brise. Le matin, les Français remarquaient que la gelée argentait l’herbe et les fleurs de la plaine