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— S’il faut combattre, nous le ferons pour obtenir ce que nous demandons, dit Pierre.

— Les guerriers Français sont vaillants, mais les Yhatchéilinis sont braves aussi, et plus nombreux, ajouta Patte-d’Ours avec orgueil.

— Comment la prisonnière blanche est-elle tombée au pouvoir du Corbeau ? demanda Joseph.

— À trois jours de marche d’ici, nous avons rencontré une petite bande de Sioux qui s’acheminaient à l’Est venant de bien loin, du soleil couchant… Ils nous montrèrent des objets rares et utiles pour nous. Nous fîmes des échanges, leur donnant des provisions, etc. Le Corbeau ayant su que ces Sioux avaient une captive blanche avec eux voulut la voir, et après avoir beaucoup marchandé, réussit à l’obtenir.

— Ces Sioux vous ont-ils dit où ils s’étaient emparés de cette personne et du butin qu’ils échangèrent avec vous ?

— Oui. À un établissement de l’autre côté des Montagnes de Roches. Ils y étaient allés et en étaient revenus en côtoyant une rivière qui sort de ces montagnes. Cet établissement est dans une île située à une très petite distance de la terre ferme et où il y a un grand magasin ; lorsqu’ils y arrivent ils font des signaux ; on vient à eux pour leur acheter leurs castors et en échange on leur donne des couteaux, quelques lances, mais point d’armes à feu : on leur vend aussi des chevaux avec des selles qui les mettent à l’abri des flèches quand ils vont en guerre. Ces Sioux nous assurèrent que les « traiteurs » n’étaient point des Anglais ; ils pensent que ce sont des Français, mais qui ne sont point aussi blancs que ceux qu’ils avaient déjà rencontrés ; que la route qu’ils prennent pour aller chez eux est droite au soleil couchant du premier mois de l’été.

Joseph et Pierre écoutaient, vivement intéressés par le récit du sauvage.

La route indiquée, d’après le calcul qu’en firent les Canadiens, devait être ouest-nord-ouest, et leurs suppositions à l’égard de la chanteuse entendue la veille se confirmèrent. Elle était Espagnole.

— Mon frère, le chef Patte-d’Ours va rapporter au Corbeau que le chef blanc veut avoir sa captive aux conditions que je vais mentionner. Je crois que le Corbeau ne me refusera pas ; le riche présent que je vais lui faire sera de haute valeur pour lui, car c’est la vie de son fils.

Patte-d’Ours ne comprenait pas.

Alors, Joseph lui apprit les évènements de la nuit passée, la tentative des jeunes Yhatchéilinis de s’emparer du fort et il lui dit que Œil-de-Faucon était à leur tête.

Il offrait la vie d’Œil-de-Faucon et de ses compagnons pour celle de la jeune fille détenue par le Corbeau. Si ce dernier refusait, les prisonniers seraient fusillés, et le village des peaux-rouges attaqué.

Patte-d’Ours consentit à transmettre ce message à son chef et partit.

Il est facile de s’imaginer la profonde sensation que créa la nouvelle apportée au village par le père du Renard.

Les Français avaient des moyens trop puissants pour que le Corbeau songeât longtemps à leur résister. La vie de son enfant lui était plus chère que celle de la prisonnière. Il céda, à son grand regret néanmoins, et se jura que, si possible, il essaierait de remettre aux blancs l’humiliation qu’ils lui infligeaient en lui enlevant son esclave.

Joseph ne relâcha ses captifs que lorsqu’on lui eut amené la jeune Espagnole. Celle-ci fut ravie de ce changement dans son sort, on le comprend sans peine. Joseph avait conduit la pauvrette au logis des officiers et le lui donna ; il l’avait disposé à l’avance pour elle. Pierre et lui s’étaient préparés une chambre au corps-de-garde qu’ils habiteraient quand la captive du Corbeau entrerait au fort.

Le logis des officiers comprenait un appartement de deux pièces : les chambres de Joseph et de Pierre. On avait laissé dans celle de Pierre les meubles nécessaires à la chambre d’une jeune personne ; l’autre servait de salle de réception ou de salon. Les murs étaient ornés d’une carte grossière du pays qu’avaient traversé les Français ; des trophées rapportées des chasses des deux gentilshommes et sur le plancher trois magnifiques peaux d’ours et de puma. Une table au milieu de la chambre, et des escabelles le long des murs complétaient cet ameublement.

Ne sachant pas l’Espagnol, M. de la Vérendrie parla en Français à la jeune fille, quand il la vit. Il n’espérait pas de réponse doutant qu’une personne d’un âge aussi tendre sut d’autre langue que celle de son pays. Il éprouva un sentiment de surprise et de joie en recevant une réponse, sinon en bon Français, du moins suffisante pour se faire comprendre.

Elle se dit Espagnole et se nomma Dona Maria d’Ampurias de Villajoyosa.