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aller chercher notre or, la terre sera couverte de neige, et il nous sera peut-être impossible de reconnaître l’endroit où nous devrons travailler.

— Tu as raison, répondit Pierre. Si l’hiver nous surprend avant que nous n’ayons rien fait, nous serons forcés de rester inactifs jusqu’au printemps ; et alors, comme tu le dis, la neige rendrait notre tâche plus difficile.

— Eh bien ! pourquoi ne partons-nous pas demain ?

— Demain ? dit Joseph. C’est bien, demain au point du jour. Je vais avertir mon sergent que je pars en exploration pour une dizaine de jours, et lui donner les instructions à suivre pendant notre absence.

— Nous amenons nos deux Yhatchéilinis ?

— Certainement. Il faut que nous parcourions la distance qui nous sépare de La Pipe dans la journée de demain et, comme c’est assez loin, je désire partir de bonne heure.

— C’est très bien. Je vais me préparer pour ce voyage.

De la Vérendrie avait une raison spéciale pour fixer son départ à une heure si matinale. Sachant, les deux officiers absents pour un espace de temps, — le plus long qu’ils eussent été absents du fort, — les sauvages pouvaient songer à en profiter et vouloir s’emparer du fort La Jonquière pour le piller.

Cependant malgré toutes leurs précautions, Œil-de-Faucon fut témoin invisible de leur départ.

— Puissent les manitous leur jouer un mauvais tour, grommela-t-il, quand il aperçut les fils de Patte-d’Ours accompagnant les deux Canadiens ; et écraser ces blancs qui ont préféré le Renard et l’Écureuil au fils du Corbeau.

Une journée, deux, trois puis quatre s’écoulèrent, et les explorateurs ne revenaient pas.

Œil-de-Faucon qui comptait les jours, se dit :

— Ma prière a peut-être été exaucée, et les mauvais esprits auront détruit les visages pâles.

Pour s’assurer de la durée de l’absence des Français, il se présenta au fort, et l’air bonasse, il dit au sergent qui vint lui répondre à la porte :

— Mon frère blanc ne trouve-t-il pas que les deux chefs sont longtemps à revenir ? Le Yhatchéilini craint pour eux un accident dû aux mauvais manitous qui demeurent dans les montagnes où se couche le soleil. Œil-de-Faucon vient s’offrir pour aller à leur recherche si son frère le désire.

— Mes chefs seront ici bientôt ; ne crains pas pour eux, brave guerrier, répondit le sergent de sa voix rude. Tu t’alarmes à tort, mais merci tout de même de tes bonnes intentions.

— Ah… bientôt ?… le guerrier blanc sait-il où ils sont allés ?

— Oui !

— Quand reviennent-ils ?

— Je te l’ai dit : bientôt !

— Demain ?… après-demain ?… dans quelques jours ?…

Le sergent n’aimait pas toutes ces interrogations. aussi fut-ce avec un peu d’humeur qu’il répondit à la dernière question :

— Sais pas !… ça se pourrait… je crois que oui !… Et, fermant brusquement le guichet, il laissa le cuivré interloqué.

Œil-de-Faucon ne pouvant en savoir plus long, retourna, maussade, au ouigouame de son père, mais deux, trois et quatre jours s’étaient encore écoulés et ne voyant pas reparaître les officiers canadiens ni les deux Yhatchéilinis, il se dit que c’était impossible qu’un malheur ne leur fut pas arrivé.

Et alors lui trotta par la tête l’idée d’une vengeance contre les Français, parce qu’ils ne l’avaient pas choisi, lui, le fils du grand chef, mais avaient pris le Renard et l’Écureuil.

Il réunit ceux de sa bourgade qui comme lui jalousaient la bonne fortune de leurs deux camarades : ensemble, ils tramèrent un complot pour s’emparer du fort et massacrer sa garnison.

C’était le neuvième jour du départ de Joseph et de Pierre, et le lendemain soir, au moment où la nuit serait plus noire, Œil-de-Faucon et ses amis, au nombre d’une douzaine, avaient décidé d’escalader le fort et de s’en rendre maîtres.

La nature semblait vouloir les aider. Le soleil avait à peine brillé le matin ; d’épais nuages l’avaient dérobé aux regards des humains du coin de ce globe terrestre ; et les aquilons mis en liberté par le dieu Éole, sifflaient durement dans les airs.

Dans l’après-midi, Œil-de-Faucon et ses compagnons s’en allèrent dans un bois distant d’un demi-mille de leur village et y choisirent deux longs pins qu’ils dépouillèrent en partie de leurs branches ; celles qui