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l’avertir que le corps-de-garde était en possession des Assinibouëls et qu’ils s’étaient rendus maîtres des armes. Pierre se hâta donc de se rendre au corps-de-garde.

Il fit demander à ces sauvages par Brossard, qui ne le lâchait pas d’une semelle, quelles étaient leurs vues, mais son interprète, qui le trahissait, lui dit qu’ils n’avaient aucun mauvais dessein. Un orateur Assinibouël, qui n’avait cessé de faire de belles harangues à l’officier, dit à Brossard que, malgré lui, sa nation voulait tuer et piller les Français.

À peine Pierre eut-il compris leur résolution, qu’il oublia qu’il fallait prendre les armes. Il se saisit d’un tison de feu ardent, enfonça la porte de la poudrière et, défonçant un baril de poudre sur lequel il promena son tison, il fit dire à ces barbares, d’un ton assuré, qu’il ne périrait point par leurs mains, mais qu’en mourant il aurait la satisfaction de leur faire subir son sort à tous.

Les braves Assinibouëls virent plutôt le tison et le baril de poudre défoncé qu’ils n’entendirent Brossard. Ils s’enfuirent à la hâte et en désordre, ébranlant considérablement la porte du fort, tant ils sortaient avec précipitation.

M. de Noyelles jeta bien vite son tison et n’eut rien de plus pressé que d’aller fermer la porte du fort.

Le péril dont il venait heureusement d’être délivré ne lui avait pas enlevé toute inquiétude : Joseph pouvait revenir avec ses trois hommes et tomber aux mains des peaux-rouges, qui leur feraient certainement un mauvais parti.

Mais ces derniers s’éloignèrent bientôt, et, le lendemain, de la Vérendrie rentrait au fort avec ses compagnons, sains et saufs, et leur canot chargé de gibier.

Ils furent reçus avec joie par de Noyelles et les autres soldats.

Pierre mit aussitôt son ami au courant des faits de la veille, et lui apprit en même temps que, après l’évacuation pressée des sauvages, il avait constaté que Brossard avait disparu, entraîné probablement par les Assinibouëls.

— Mais pourquoi avais-tu permis à tout ce monde d’entrer dans le fort ? demanda Joseph. C’était extrêmement dangereux, et nullement nécessaire.

— Je ne leur ai pas donné accès au fort, et mes hommes interrogés sur ce point, m’assurent énergiquement être innocents de cette imputation : sauf Brossard que je n’ai pu questionner puisqu’il a disparu.

— La figure de cet homme, déclara Joseph, ne m’allait pas du tout, mais ce ne serait pas une raison pour le juger. Depuis l’affaire de notre étrange et profond sommeil, qui a permis notre facile capture par les Kinongé-Ouilini, j’ai des doutes sur l’honnêteté et la loyauté de ce gaillard envers nous ; et je t’avouerai bien, mon cher Pierre, que je le crois capable de nous avoir trahis encore une fois. Heureusement, ton courage nous a sauvés d’un désastre, ou plutôt, d’une mort terrible. Eh bien ! maintenant qu’il n’est plus avec nous, j’en suis content.

— Mais il devait avoir un motif pour agir ainsi ?

— Certes !… À mon avis, Brossard connaît quelque chose de notre secret, mais pas assez pour travailler seul.

— Tu te trompes, Joseph : comment aurait-il réussi à connaître ce que nous avons toujours caché ? Personne n’a vu nos papiers, et nous n’avons jamais conversé ensemble sur ce sujet assez haut pour qu’une oreille indiscrète en bénéficiât.

— Dieu veille qu’il en soit ainsi, mais c’est mon opinion que je t’exprime… Et maintenant, mon cher Pierre, j’ai à t’apprendre une bonne nouvelle : les petites cartes contenues dans l’amulette sont exactes ; car, en remontant cette rivière jusqu’à sa source, j’ai presque côtoyé la montagne La Pipe ; j’ai passé à l’extrémité est des Deux Jumelles et du Mont Rond, et finalement nous nous sommes arrêtés entre les Crocs. J’en savais assez, et je ne me suis pas attardé plus longtemps dans cette partie du pays. Il nous reste à combiner un plan pour extraire l’or du flanc de l’une des Jumelles, et déterrer la fameuse pépite près de la grotte, sans que nos hommes aient vent de nos affaires.

— Oui, parce que la fièvre de l’or n’aurait qu’à s’emparer d’eux ; ils exigeraient part égale, et notre vie pourrait être en danger.

— C’est cela ! Et M. de Niverville qui doit venir bientôt !… Ne crois-tu pas qu’il serait préférable de le mettre dans le secret, lui ? demanda Joseph.

— Cela vaudrait mieux, en effet. Mais s’il ne venait pas ?… Notre tâche serait de beaucoup simplifiée…

— Dans tous les cas, s’il ne vient pas à l’époque désignée, nous attendrons une quinzaine de jours en plus ; après quoi, nous aurons carte blanche, car nous ne le reverrons