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Ouilini, et se tournant vers ses amis, leur dit en souriant, sans forfanterie :

— Regardez-moi ; c’est comme ça qu’il faut y aller !

Et prenant son courage à deux mains, il bondit dans l’allée douloureuse, où les coups lui tombèrent dru sur le corps, mais il en sortit sans avoir proféré une plainte ou un gémissement.

Les bourreaux étaient dans l’admiration et se disaient :

— Celui-là est un vaillant !

Mais un mouvement se fit parmi eux et ils agitèrent nerveusement leurs fouets, cinglant le vide, pour s’assurer qu’ils n’avaient pas perdu de leur flexibilité.

Les deux acolytes du maître de cérémonie venaient de s’emparer de Joseph, le capitaine de la petite troupe, et le dépouillaient de ses habits.

On le lançait le troisième.

Les sauvages avaient hâte de voir si le chef des blancs serait bien brave.

En enlevant la chemise du chevalier, et mettant à nu sa poitrine, le chef des Kinongé-Ouilini eut un cri de surprise, en apercevant un objet noir suspendu au cou du visage pâle.

C’était l’amulette léguée par le Bison, que Joseph portait sur sa poitrine depuis le départ de Ville-Marie, et qui causait cette exclamation.

Un cercle de curieux se forma instantanément autour d’eux.

Le chef parlait maintenant avec volubilité à ceux qui l’entouraient.

Que disait-il ?

Joseph eut bien voulu le savoir, mais les paroles du sauvage étaient incompréhensibles pour lui, le chef s’exprimant en Kinongé-Ouilini.

Néanmoins, il fut bientôt évident qu’un sentiment favorable naissait subitement dans la tribu à leur égard.

Le supplice des baguettes ne se continua pas et l’on ramena les Français à leur prison.

Quand ils furent seuls, chacun voulut contempler l’amulette qui les sauvait, la plupart d’entre eux, d’une course à la bouline.

— Capitaine, demandait-on à Joseph ; cet objet doit avoir une histoire : si vous la connaissez, dites-là nous, s’il vous plaît ! Car, c’est sans doute ce talisman qui nous a valu un répit que nous pourrons tourner à notre avantage.

De la Vérendrie se rendit partiellement à leur désir, et leur raconta le drame du Bison à Montréal, mais il eut soin de ne faire aucune mention du secret.

— Une idée m’est venue, dit Joseph à ses gens ; je crois que le chef a connu le frère, ou qu’il est peut-être le frère du Bison, et qu’il a été étonné de me voir ce talisman au cou.

Comme il parlait, ce personnage, accompagné d’autres chefs, entra, alla à Joseph et lui dit en Mandane :

— Homme au visage pâle, je viens apprendre de ta bouche comment il se fait que tu possèdes l’amulette que tu portes sur toi ?

— En quoi ceci peut-il intéresser le grand chef des Kinongé-Ouilini ? demanda Joseph.

— Que le guerrier blanc réponde d’abord.

— Eh bien ! cet objet qui excite vivement la curiosité m’a été donné par un ami à moi, chef de la tribu des Mandanes, que j’ai trouvé un soir gisant sur le sol, dans une grande bourgade de ma nation. Il venait de tomber sous le couteau d’un assassin qui le voulait voler.

— Comment se nommait le Mandane ?

— Le Bison.

Le chef inclina un peu la tête et murmura deux mots que l’oreille de Joseph put saisir :

— Pauvre frère !

Deux larmes s’échappèrent des yeux du sauvage malgré son stoïcisme.

— Le visage pâle voudrait-il raconter ce qu’il sait du Bison ?

— Es-tu son frère, l’Aigle-Noir ?

— Oui. Si tu connaissais bien le Bison, il a dû te confier que ce talisman a été fait par moi et échangé avec lui à la suite d’une folle ambition de ma part !… De la dignité que je convoitais, j’ai joui à peine l’espace de cinq fois dix lunes, après la disparition de mon frère. Un jour, je fus fait prisonnier par un parti de Kinongé-Ouilini et conduit ici. Tu connais l’habitude des peaux-rouges ? J’allais être attaché au poteau de torture, quand la fille de l’un des chefs me réclama, — c’était son privilège, — et m’adopta pour partager son ouigouame. C’est ainsi que j’obtins la vie. Avec le temps je suis parvenu au poste de chef de ce village, qui compte cinq cents guerriers.

L’Aigle-Noir se leva alors pour prendre congé des Français. En passant à côté de Joseph, il lui glissa ces mots :

— Veillez, cette nuit !

Dès que l’Aigle-Noir et ses confrères furent dehors, Joseph ranima ses hommes et leur communiqua les bonnes paroles du chef.