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donnait du lard, d’où leur était adressé par dérision l’épithète de « mangeurs de lard ».[1]

Les Français firent au Sault une halte de quelques heures tout au plus, puis ils entrèrent dans le lac Supérieur dont ils côtoyèrent la rive sud jusqu’à la rivière au Pigeon, vis à vis l’extrémité sud de l’île Royale.

Le lendemain, ils quittaient ce lieu pour le fort Saint-Pierre, au lac la Pluie, le premier établissement des postes de l’Ouest.

Le plus difficile du voyage commençait et il fallait une pratique bien formée pour en connaître tous les chemins.

Du lac Supérieur au fort Saint-Pierre la distance est de deux-cent-cinquante milles environ, mais il y avait des portages à faire, tantôt du côté nord, tantôt du côté sud de la rivière.

Aussitôt arrivé à ce premier poste, M. de Saint-Pierre convoqua en assemblée, tous les sauvages des environs, et, dans une harangue bien tournée leur fit grandement valoir la bonté que le roi son maître avait de les faire visiter et de pourvoir à tous leurs besoins.

Il fut écouté religieusement, mais quand il cessa de parler, les sauvages, selon leur habitude, lui demandèrent des présents, qu’il n’accorda qu’en partie, car il n’y avait pas moyen de les satisfaire.

De Noyelles, émerveillé de tout ce qu’il voyait, ne s’étant jamais aventuré aussi loin de Ville-Marie, avait souvent recours aux lumières de M. de la Vérendrie pour des explications qui lui étaient très intéressantes et très instructives.

Le commandant représenta à ces nations combien M. le général, c’est-à-dire le gouverneur, leur père, était peiné relativement à la guerre qu’ils ne cessaient de faire aux Sioux ; que s’ils voulaient donner des preuves de leur soumission et de l’obéissance qu’ils devaient à un bon père, il fallait qu’ils discontinuassent d’aller en guerre contre les Sioux, Sakis, Puants et Renards, qui n’étaient pas moins chers qu’eux à Ononthio ; que pour concilier leurs esprits, leur père avait détaché M. Marin chez les Sioux et autres nations pour les porter également à la paix et à la plus parfaite union.

Il leur signifia en même temps que si, malgré ces défenses, ils persistaient à faire cette guerre, ils les mettraient, comme par le passé, dans la dure nécessité de les priver des secours que les Français introduisaient chez eux avec beaucoup de peine et de frais. Il ajouta qu’ils ne pouvaient pas raisonnablement oublier combien était affreuse leur misère avant qu’ils eussent les Français chez eux.

La réponse des sauvages lui plut, surtout celle des deux chefs les plus considérés ; mais il n’osa compter entièrement sur leur parole, et il fit bien.

Ayant pris congé de ces gens, les Français continuèrent leur route par la rivière la Pluie et le lac des Bois au fort Saint-Charles, construit en 1732, par le Découvreur, Pierre de la Vérendrie, père de François et de Joseph. À cet endroit reposaient les restes de Jean-Baptiste de la Vérendrie, frère de Joseph, et du Père Aulneau, massacrés à sept lieux de ce fort, en 1736. Puis, par un chemin de l’Angle du Nord-ouest à la rivière Rouge et au fort de ce nom ; ensuite, remontant le cours de l’Assiniboine jusqu’au fort la Reine (fondé en 1738 par M. de la Vérendrie) — où est aujourd’hui le Portage la Prairie — ils s’installèrent pour hiverner.

On apprit bientôt que les sauvages réunis au fort Saint-Pierre étaient partis en guerre, mais l’on était trop éloignés d’eux pour les en empêcher.

Le manque de vivres que l’on avait coutume de trouver au fort Saint-Charles ou au fort Maurepas (bâtit en 1734 par Jean-Baptiste de la Vérendrie) à l’embouchure de la rivière Ouinipik, mit le capitaine dans l’absolue et indispensable obligation de dépêcher M. le chevalier de Niverville, enseigne des troupes détachées de la marine, à la rivière Paskoyac, — surnommée aujourd’hui : Le Pas — où, ne pouvant se rendre en canot, le chevalier fut obligé de cacher dans les bois une partie de ses vivres, et d’emporter l’autre partie avec lui sur des « tobagganes », — traîneaux sauvages.

Il n’est point de misère qu’il n’éprouvât durant la froide saison ; n’ayant presque pas de vivres, il était exposé tous les jours, lui et sa troupe, à mourir de faim ; ce qui les sauva de ce danger fut la maigre ressource pendant l’hiver, de quelques poissons. C’est ainsi qu’ils se soutinrent jusqu’au printemps, quand la pêche fut plus aisée et plus abondante.

Les deux amis, de la Vérendrie et de Noyelles, appartenaient à la troupe de M. de Niverville, et Pierre, en subissant ces dures privations, se disait souvent que tout n’est pas rose dans la vie d’un découvreur, et que, n’était la perspective dorée qu’il entrevoyait

  1. Le Can. Antiquarian, vol. III, p. 48, 1893. Montréal.