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Bois il y avait plus de quatre-vingt-dix portages. Le Grand-Portage commençant à la rive ouest du lac Supérieur, de dix mille de long, durait quinze jours. Son nom était tiré du fait que sur ce faible parcours il y avait plus de quarante portages. Par la route de la rivière Outaouais ou Grande-Rivière il y avait moins de portages mais la voie était plus difficile et plus dangereuse. Le raccourci pris par les frères de la Vérendrie leur sauvait beaucoup de chemin ; de Toronto au lac Huron il y avait cent soixante milles avec seulement six ou sept portages.

Voici comment on voyageait sur nos lacs et nos rivières en ce temps-là : à tous les deux milles on arrêtait quelques minutes pour fumer, et quand on faisait un portage, c’est-à-dire quand la navigation était interrompue par un rapide ou une chute, il fallait atterrir, alléger le canot, et les hommes à terre ou dans l’eau, le remorquaient jusqu’à ce que le rapide fut passé ; ou bien, on le portait sur les épaules jusqu’à l’endroit le plus rapproché d’où il était possible de continuer la route.

On n’arrêtait pas pour se faire sécher, mais on continuait sans relâche jusqu’à l’heure du repas ou du coucher, et quand il y avait un portage à faire il était désigné par le nombre de repos ou d’arrêts nécessaires pour le surmonter.

Tous ces détails intéressaient fort M. de Noyelles. Chaque jour lui présentait du nouveau.

Mais ce n’était là qu’un commencement et bien d’autres choses devaient l’étonner en chemin.

À la vue d’une croix tombale ; quand un cours d’eau était franchi ou qu’un autre commençait, les voyageurs ôtaient leurs coiffures et se signaient, pendant qu’ils disaient une courte prière.

Ensuite, les avirons nageaient en cadence sous le rythme des beaux chanteurs de l’expédition. On chantait :

Dans mon chemin j’ai rencontré,
Trois cavaliers fort bien montés :
Lon, lon, laridon, deine,
Lon, lon, laridon, dai.

Et tous reprenaient en chœur :

Lon, lon, etc.

Ou bien :

Quand j’étais chez mon père (bis)
Petite, et jeune étions,
Dondaine et don,
Petite et jeune étions,
Dondaine.

Ou d’autres du même genre.

Tous ceux à bord qui pouvaient chanter, le faisaient avec un vif plaisir.

Et le chœur, un chœur formidable, puissant, réveillait gaiement les échos sonores d’alentours.

Le soir venu, le commandant ordonnait l’atterrissage. Le souper se prenait avec appétit ; puis, les sentinelles placées, les autres personnes se livraient au repos.

Après un voyage de six semaines, sans alerte, sans rencontre fâcheuse, tout le monde arrivait, le 12 juillet, à Michilimakinac, où les Français avaient un poste.

C’est à ce poste que M. de Saint-Pierre rejoignit les frères de la Vérendrie ; il offrit des excuses à François pour la conduite qu’il avait tenu envers lui. Il se dit bien fâché de ne pas les avoir dans son parti, et il leur en témoigna beaucoup de regrets.

Joseph crut le moment favorable pour parler, il en profita pour demander la permission de suivre son ami, M. de Noyelles ; ce à quoi M. de Saint-Pierre consentit sur le champ.

Ayant pris un repos de trois semaines, ils partirent tous pour le Sault Sainte-Marie.

En arrivant à cet endroit, ils rencontrèrent des gens d’en haut retournant à Montréal. Ces hommes étaient partis de bonne heure au printemps et revenaient leurs canots lourdement chargés de riches pelleteries. Les canotiers de la troupe de M. de Saint-Pierre, en les apercevant, les saluèrent des cris de : « Bonjour ! Comment ça va les mangeurs de lard ? »

Ceux que l’on apostrophaient ainsi, répliquèrent sur le même ton : « Eh ! mais pas trop mal, mangeurs de suif et de blé d’inde ! »

Les voyageurs qui montaient — c’était le terme employé lorsqu’on se rendait dans les pays du Nord-ouest — que pour faire le convoi des fourrures, demandaient une meilleure nourriture que leurs confrères qui s’engageaient pour aller faire la traite ou toute expédition de longue haleine, etc., et on leur