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pense pas que j’aie passé à ton domicile, ce matin, uniquement pour le plaisir de t’offrir à déjeuner avec moi !… Écoute donc et ne m’interromps plus.

— Je disais donc que j’ai renoué des relations avec un ancien compagnon de voyage… qui n’avait plus le sou… mais lui ne m’a pas reconnu.

La nuit précédente, le sort m’avait favorisé au jeu et j’avais des jaunets dans ma poche. Bien !… quand je vois le peau-rouge… Tiens, je ne t’ai pas dit que c’en était un ?… et que je constate qu’il ne me reconnaît pas, je lui offre un petit coup… parce que tu sais… ou tu ne sais pas… l’eau-de-vie, il n’y a rien comme ça pour renouveler l’amitié avec les peaux-cuivrées… Mon homme ne refuse pas, et, en sirotant notre liqueur, je lui dégoise cinquante choses du passé qui lui prouvent qu’il ne m’était pas étranger. Je lui offre d’autres verres, que le gaillard avale gaiement. Et nous devenons bons amis, le Bison et moi…

— Le Bison ! Celui qui a été assassiné la nuit dernière ?

— Oui.

— Mon chef, le sub-délégué de l’Intendant, m’a fait avertir de cette affaire, et dire qu’il aurait besoin de mes services plus tôt que d’habitude, ce matin, pour prendre en note ce que lui révélera l’enquête, qu’il veut faire.

— Je payai plusieurs consommations au pauvre diable qui, lorsque l’eau-de-vie eut noyé sa raison, s’oublia dans sa reconnaissance pour ma bonté envers lui, à me dire qu’il m’en récompenserait un jour… après son retour de l’expédition qui s’organisait… qu’il me donnerait de l’or au centuple pour l’argent que je dépensais à lui payer de l’eau de feu.

Je compris immédiatement, que l’Indien connaissait l’endroit d’une mine d’or, et je résolus, si possible, de me rendre maître de son secret… Je fis semblant de douter de ses paroles. Cette ruse eut son effet ; il se fâcha de mon manque de foi à son égard.

— Le Bison n’a pas la langue fourchue, me dit-il. Sa parole est franche, il peut le prouver et confondre le visage pâle…

— Voyons-les donc, ces preuves, dis-je, en ricanant. Mais le vieux chef avait senti mon stratagème, et après cela, je n’ai pu lui tirer un mot du corps à ce sujet.

Néanmoins je ne me tins pas pour battu.

Je voulus avoir ces preuves que le bonhomme pouvait produire — cela devait être un écrit — et je m’attachai à mon sauvage. Je simulai un vif regret d’avoir douté de ses paroles ; je fis le bon ami, et j’allai jusqu’à lui prêter une couple de louis d’or. Enfin, je parvins à endormir sa méfiance, et le soir venu, notre amitié s’était resserrée, et nous buvions ferme ensemble. Cela se passait au Fusil d’Argent, sur la rue Notre-Dame…

— Une bonne place, fit Lanouiller.

— Vint la nuit, il fallut sortir.

Je laissai partir le Bison, mais j’étais sur ses talons. À peine, étions-nous dehors que m’assurant qu’il n’y avait personne venant de notre côté, je lui enfonçai mon couteau trois ou quatre fois dans le corps. La dernière fois, j’ai dû y laisser mon arme qui s’était fixée solidement dans l’ossature du sauvage… Mais elle ne sera pas un indice accusateur. Je fouillai le vieux et je repris d’abord mes jaunets : il fallait bien rendre à César ce qui était à César… et c’est tout ce que je pus trouver sur lui…

— Mais alors ?..

— Minute, mon cher !… J’avais fini ma besogne, et je contemplais ma victime avec colère.

« Vieille peau-rouge, lui disais-je, j’ai bien envie de te donner des coups de pieds… de m’avoir poussé à te mettre dans cet état, inutilement… Pourquoi m’as-tu dit que tu avais des preuves ? »… Mais soudain je pensai qu’à l’auberge où le Bison logeait, parmi ses effets, s’il en avait, j’aurais peut-être la clef du mystère.

À ce moment, mon oreille perçut des bruits de pas se rapprochant.

Je me blottis dans la porte cochère voisine. Elle était profonde, et, caché dans l’un de ses angles obscurs, je vis quatre hommes s’arrêter autour du Mandane avec des exclamations d’horreur.

Ces bonnes gens, fit-il, en ricanant, ramassèrent la forme inanimée et la portèrent à l’auberge que nous venions de quitter.

La curiosité me retint sur les lieux et bien m’en prit.

— Ah ! pour le secret, fit l’ami de Brossard.

Celui-ci hocha la tête en signe affirmatif, mais avant de continuer son récit se versa une large rasade.

— Cinq minutes après que ces hommes eurent disparu derrière la porte publique de l’auberge, je m’en approchai, et je collai mon œil contre une fente de l’un des volets : je vis qu’on avait déposé le moribond sur le lit de l’aubergiste. Malheureusement,