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ne chef a suivi les conseils de son père pour être sage et bien diriger la bourgade, et il ne croyait pas qu’il y existât des mécontents… Mais le chef a lu dans le cœur révolté et voit que l’ambition y règne : l’Aigle-Noir veut se débarrasser du Bison afin de lui succéder comme chef. Eh bien ! son désir s’accomplira mais sans effusion de sang ; le trouble et la discorde passeront loin de nous.

Ton frère a lu dans ta pensée et s’est beaucoup tourmenté au sujet de la ligne de conduite à suivre en ce cas. Pour s’affermir dans le plan arrêté il a consulté un homme blanc[1] dont les conseils sont sages, et celui-ci approuve le Bison.

L’Aigle-Noir refusa d’abord d’écouter son frère et protesta fortement de son innocence, mais ce dernier avait amassé des preuves irréfutables avant de s’ouvrir à l’ambitieux, et il lui fut très facile de le confondre.

Alors, sombre, farouche, l’Aigle-Noir attendit que son frère eut fini de parler pour se déclarer, probablement sur la nature de ses sentiments, qui, sans doute, paraîtraient cruels, douloureux à son aîné.

— Ma résolution est prise, dit ce dernier. Demain le Conseil s’assemblera, et devant les principaux guerriers de notre nation tu seras proclamé chef à ma place… Es-tu content ?…

— Et toi ? demanda-t-il, soupçonneux.

— Moi, je vais aller trouver le grand chasseur blanc qui est venu ici cet hiver. Je le suivrai partout où il ira… il aura besoin d’un guide… il ne me refusera pas comme tel… et le Bison pour éviter toute lutte avec son frère qu’il aimait tant… se condamnera à l’exil, à la vie loin de tout ce qui lui est cher !…

Un revirement visible se fit dans l’attitude de l’Aigle-Noir ; de meilleurs sentiments renaissaient en lui. Le chef en était heureux.

— Le Bison ne s’éloignera pas des Mandanes, dit l’Aigle-Noir après un silence ; mais ce sera le mauvais frère qui a prêté l’oreille au méchant manitou qui le tourmentait ; il a eu tort et le reconnaît maintenant ; il doit souffrir seul, mais que le chef ne lui retire pas son affection…

— La décision du chef est bien pesée et inébranlable… Il n’a plus qu’une chose à demander. Voici : accepte l’amulette du Bison et garde-la en souvenir de lui.

L’Aigle-Noir voulut encore tenter quelques observations ou objections, mais voyant qu’il n’y gagnerait rien, se décida à imiter l’action de son frère et lui présenta le talisman pendant à son cou.

C’était un objet fabriqué du bois du cerf, représentant un aigle. Cet emblème était teint en noir.

Puis, le chef désirant la solitude, son frère se retira, et le laissa seul en proie à ses noirs chagrins et aux tristes pensées qui l’assiégeaient. Le Bison éprouva un certain soulagement du tête à tête qu’il avait provoqué et de la décision prise.

Il fit savoir aussitôt aux chefs subordonnés et aux premiers guerriers de la bourgade, qu’il voulait les voir réunis en grand conseil le lendemain, ayant une communication importante à leur faire.

Ensuite, il prépara ses armes et quelques effets pour son départ, et comme la nuit était venue, il sortit de son ouigouame et s’en alla errant à l’aventure vers le bois avoisinant le village Mandane. L’air frais du soir rafraîchit son front brûlant et au retour à sa couche il éprouva plus de calme au cœur, mais le sommeil ne vint pas clore ses yeux.

Le moribond se tût pendant quelques instants. Ses auditeurs crûrent que les souvenirs évoqués l’avaient ému et respectèrent son silence. Mais il n’y avait pas que cela ; il avait trop parlé et s’était affaibli et lorsqu’il reprit la parole il dit aussitôt aux deux amis :

— Ah ! le Bison a fait sa dernière course et la vie s’en va rapidement. Il lui faut abréger un peu son récit afin de ne pas emporter dans la tombe le secret qu’il veut vous confier… Donnez, demanda-t-il du breuvage préparé par l’homme à la médecine des blancs, afin que je puisse continuer…

Tandis que Pierre soulevait la tête du mourant, Joseph lui glissait entre les lèvres le contenu d’une cuillerée de cordial réclamé par le peau-rouge.

L’effet de la potion administrée fut immédiat ; comme le prouvèrent une légère coloration aux pommettes des joues et la parole plus vive du sauvage.

— À l’assemblée des chefs qui eut lieu, et après des harangues pour et contre, le Bison fit accepter son projet et l’Aigle-Noir fut proclamé le premier guerrier de la tribu.

Cinq jours plus tard l’aîné des deux frères se présentait devant le chef blanc qui habi-

  1. En l’hiver de 1739, M. de la Vérendrie laissa deux hommes chez les Mandanes pour y apprendre la langue et étudier le pays, etc.