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tête du vieux brave émergeant de l’onde que ses bras vigoureux fendaient rapidement, Peu après sa main se cramponnait au rebord du canot. Après s’être reposé un instant, lentement, mais avec une adresse rare, il monta près de moi.

Ce tour de force et d’habilité, joint à la distance qu’il venait de franchir à la nage, l’épuisa.

Le Bison m’apportait le moyen de retourner au camp, car il s’était attaché au cou une pagaie qu’il avait traînée avec lui et laquelle, de la sorte, ne pouvait aucunement gêner ses mouvements.

Lorsqu’il s’aperçut que je dérivais, au premier abord il pensa à m’en avertir, puis, songeant que je devais avoir un aviron dans le canot, continua à vaquer à ses occupations. Mais enfin, voyant que je m’éloignais toujours il en fut surpris, et tout à coup, il se rappela que l’un de nos avirons s’était cassé en sortant de notre dernier portage, qu’on l’avait probablement laissé dans le canot, et que je me trouvais sans moyen de revenir. L’indien eut un instant l’idée de signaler à mon père et à mon frère, mais il se ravisa. Il se dit qu’il ne pourrait peut-être pas les voir ou leur faire comprendre ses signaux et qu’il perdrait là un temps précieux.

Saisissant une pagaie qu’il attacha à son cou il se mit résolument à l’eau et s’élança dans la direction vers laquelle il m’avait vu dériver.

Vous savez le reste.

À ce moment des pas résonnèrent à la porte de l’auberge. Baptiste et le médecin qu’il avait trouvé, entrèrent. Ayant salué de la Vérendrie et de Noyelles qu’il connaissait et ayant échangé quelques mots avec eux, il examina les blessures du sauvage.

Des coups portés par le meurtrier, deux étaient mortels, et quand le disciple d’Esculape voulut enlever l’arme enfoncée dans la plaie, il la trouva fixée si solidement qu’il lui fut impossible de la retirer sans causer un mal extrême au moribond. Il crut même plus prudent de l’y laisser. Autrement, une forte hémorrhagie pouvait se produire et achever en quelques minutes l’œuvre de l’assassin, sans que le sauvage put reprendre connaissance et donner un indice lequel permettrait de retrouver la personne qui l’avait frappé.

Il lui glissa entre les lèvres quelques gouttes d’un cordial et il éprouva bientôt la satisfaction de le voir revenir à la vie. Les lèvres s’agitèrent, les paupières battirent, les yeux s’ouvrirent et ses traits se contractèrent en un spasme douloureux. Il reconnut M. de la Vérendrie et voulut parler. D’abord, des sons inarticulés s’échappèrent de sa gorge, puis, faisant un effort, il réussit à se faire entendre et ses premières paroles furent pour demander « un homme à la robe noire », un ministre de Dieu, disant qu’il sentait bien venir sa fin et qu’il ne voulait pas mourir sans avoir l’une des robes noires qui lui avaient déjà parlé d’une vie plus belle que celle-ci.

De Noyelles envoya Jacques chez les Sulpiciens, qui demeuraient tout près de l’auberge, avec mission d’amener un prêtre pour recevoir les derniers aveux d’un mourant.

Le médecin se retira en disant aux deux amis qu’il était impuissant à soulager le Bison et que celui-ci le comprenait parfaitement.

— Profitez, leur dit-il, du répit que lui donne la mort pour découvrir l’auteur de ce crime.

Aussitôt le médecin sorti, le Bison fit signe à Joseph qu’il voulait lui parler, à lui seul, mais ce dernier montrant de Noyelles, expliqua au peau-rouge qu’il était son cousin en qui il avait pleine confiance et qu’il pouvait parler devant lui, mais Baptiste et l’aubergiste s’éclipsèrent. Comme ces deux personnes allaient sortir de la chambre, le sauvage faisant un effort, pour se relever, hurla, son visage exprimant la colère, la haine, la fureur :

— Il est là celui qui a frappé traîtreusement le Bison… je l’entends !…

Il désignait la pièce voisine.

On s’y précipita, mais on n’y découvrit rien d’anormal.

Évidemment, le pauvre homme délirait !…

Nous avons dit qu’une ombre avait regardé par l’une des fentes d’un volet de l’auberge pour connaître ce qui se passait au dedans. Quand l’homme de science et Baptiste arrivèrent près de la maison, leurs pas avertirent l’inconnu de leur approche. Celui-ci se tapit vivement dans la porte cochère de la maison.

Lorsque le médecin sortit, un plan audacieux avait germé dans le cerveau de l’être mystérieux. Il se glissa jusqu’à la porte de l’habitation, et faisant jouer le pêne, s’aperçut avec joie, que l’entrée était libre. Sans bruit, il se coula dans la première pièce. Sans bruit ?… Non, car l’oreille fine du sauvage, si fine, si subtile, avait saisi le bruit