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YEUX NOIRS ET YEUX BLEUS

bouleau. Tout cela avait un tant soit peu fait incliner la tête et le corps du jeune homme, comme chez ces personnes que l’on rencontre parfois, marchant, rêveuses, ruminant quelque projet.

L’exercice acquis à la rude existence pratiquée dans ses courses lui donna des muscles d’acier, mais ne lui permit pas de donner à sa figure une apparence grassouillette, sans qu’on eût pu toutefois l’accuser de maigreur.

Sa physionomie, très sympathique attirait tout de suite la confiance. La bonté, la douceur, s’y reflétaient. Ses yeux noirs, parfois à certains éclairs qui leur échappaient, indiquaient qu’il possédait une énergie, une volonté tenaces, irrésistibles. Ses cheveux noirs, selon la mode du temps, étaient réunis sur le cou, par un ruban.

M. Pierre de Noyelles, le deuxième des fils du chevalier Nicolas Joseph de Noyelles, major des troupes, pouvait se proclamer enfant de Montréal, puisqu’il avait vu le jour dans les murs de cette ville, le 3 novembre 1721[1].

Pierre était plus petit que son ami, mais par contre plus grassouillet. Il se tenait toujours très droit, et marchait invariablement la tête haute ; souvent un sourire moqueur plissait ses lèvres, et son œil bleu semblait narguer. Le caractère vif, emporté subitement, mais se radoucissant bientôt, comme s’il eût eu conscience qu’il s’oubliait trop facilement. Tel, dans un paysage d’automne, une soudaine rafale surgit et d’un coup brusque enlève en tournoyant les feuilles et la poussière qui couvrent le sol, et les répand dans les airs embrouillant l’atmosphère si calme un instant auparavant. Mais le vent cesse tout-à-coup et tout rentre dans la quiétude.

Brave, M. de Noyelles l’était. Bon sang ne peut mentir. Son père avait servi dans les troupes, en France et en Canada. Son frère aîné commandait actuellement au fort Michilimakinac, et lui-même n’attendait que l’occasion de servir le roi.

De la Vérendrye et de Noyelles avaient fait quelques pas ensemble dans la rue Saint-Paul, en descendant vers la rue Saint-Charles, lorsque Pierre, prenant la parole, demanda à son ami :

— Comment t’es-tu amusé, Joseph ? As-tu aimé cette fête ?

— Oui, mon cher, je me suis beaucoup amusé.

— Mais tu n’as pas dansé !

— J’ai eu plus de plaisir à regarder danser que si j’eusse dansé moi-même.

— Dis, Joseph, reprit Pierre d’un ton railleur, n’aurais-tu pas aimé être disciple de Terpsychore, ce soir, et faire le pas de danse avec Mlle Marie-Amable de Montigny, par exemple ?

— Certainement, répondit Joseph en riant, surtout si je possédais la jolie figure de Pierre de Noyelles !…

— Tu n’aurais pas besoin de cela, mon cher, pour avoir l’air d’un danseur gracieux… surtout dans l’opinion de cette gentille personne que je viens de nommer…

— Si je pouvais croire que Mlle de Montigny admirerait autant

  1. Tanguay. Dict. Généalogique.