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LA PÉPITE D’OR

raient pu voir qu’il était onze heures du soir lorsqu’ils atteignirent le village des Yhatchéilinis.

Les chiens des Yhatchéilinis reconnaissant le Renard et l’Écureuil ne jappèrent pas au passage de ces derniers, ni de Joseph et de Pierre.

Au moment où ils passaient près du ouigouam du Corbeau, un chant doux et triste se fit entendre.

Pierre et Joseph s’arrêtèrent stupéfaits.

La voix qui s’exhalait ainsi plaintive et navrée n’appartenait pas à la race des Yhatchéilinis, ni à celle d’aucun peau-rouge. La personne qui chantait s’exprimait en espagnol. C’est ce qu’ils pensèrent.

Puis, subitement, le chant fit place aux sanglots.

De Noyelles se penchant à l’oreille de son ami dit tout bas :

— Tu viens d’entendre cette voix ! Que penses-tu de ceci ?

— Chut ! souffla Joseph. Écoute, et sois immobile !

Une autre voix, rauque et gutturale, mais qui s’efforçait d’être moins dure — celle du Corbeau ou de son fils probablement — se fit entendre. Puis elle se tut, mais reprit au bout d’un instant, ayant évidemment attendu une réponse qui n’était pas venue. Cette fois, la voix du Yhatchéilini était plus rude.

L’Écureuil et le Renard, aux côtés des deux amis, tremblaient, et ces derniers s’en aperçurent.

— Qu’y a-t-il ? demanda à voix basse le commandant canadien au Renard.

— Œil-de-Faucon, le fils du grand chef, mauvais sauvage, parle à l’esclave blanche… mais… pst ! — fit-il soudainement. Chef blanc, fais le mort !

Cette admonition était prononcée à propos.

Le fils du Corbeau sortait du ouigouam de son père ; il fit quelques pas dans les ténèbres, dans la direction du petit groupe silencieux…

Il s’arrêta et modula doucement le cri de la chouette. Presqu’aussitôt un autre cri semblable répondit à courte distance.

Et les quatre hommes, immobiles comme des statues, protégés par l’obscurité, entendirent peu après le colloque suivant entre les sauvages, qui s’étaient rapprochés.

— Est-ce toi, l’Épervier ? interrogeait une voix.

— Oui, chef, répondait l’Épervier.

— Les jeunes braves sont-ils tous au rendez-vous ?

— Oui. On n’attend plus que toi. Je venais t’avertir que tout est prêt, quand j’ai perçu ton signal.

— C’est bien ! Les jeunes guerriers Yhatchéilinis vont bien s’amuser cette nuit, et Œil-de-Faucon sera vengé.

— Malheur aux visages-pâles !

— Allons au rendez-vous retrouver nos amis ; pressons-nous, l’heure va sonner pour l’assaut du grand ouigouam des blancs.

Les deux sauvages s’éloignèrent.

Quand Joseph les jugea suffisamment loin, il s’élança suivi de ses compagnons, vers le fort, où quelques minutes plus tard ils arrivaient essoufflés.