Page:Roy - Le cadet de la Vérendrye, 1897.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
L’AIGLE NOIR

Dans quel but ?

Il ne pouvait s’imaginer que le secret de l’amulette fut connu d’un tiers, et il attribua un autre motif à l’action de Brossard. Un vol vulgaire, probablement ?

Il se promit de le surveiller.

Il en était là de ses réflexions, quand la porte de la hutte s’ouvrit ; un chef sauvage entra, promenant ses regards sur chacun des prisonniers. Il vit, aux vêtements de Joseph et de Pierre, que ces deux-là étaient d’un rang supérieur, et il leur parla, mais Joseph, qui ne connaissait que quelques idiomes de l’Ouest, ne comprit pas les paroles du chef. Il branla la tête et souleva les épaules pour signifier qu’il n’entendait rien de ce qu’il lui disait.

Le sauvage employa un autre langage, celui des Mandanes, que Joseph connaissait bien.

Il lui fut donc facile de répondre.

Il apprit qu’ils étaient au pouvoir de la vaillante nation des Kinongé-Ouilini.

De la Vérendrye en éprouva un serrement de cœur. Les Kinongé-Ouilini avaient la réputation d’être féroces, cruels et sanguinaires.

— Quelle est votre intention à notre égard ? demanda-t-il.

— Vous l’apprendrez aujourd’hui, dit le chef en se retirant.

La séance au conseil n’avait pas été longue ni orageuse. D’un commun accord, il fut décidé que les étrangers périraient. Si on les laissait vivre et continuer leur chemin, plus tard ne reviendraient-ils pas plus puissants ? Il valait mieux les anéantir à présent ; n’avoir rien à craindre de ce côté.

Telles étaient les idées des sauvages.

Les blancs devaient donc mourir.

Quand les rayons du soleil furent un peu moins ardents, c’est-à-dire vers les trois heures de l’après-midi, ces Kinongé-Ouilini vinrent chercher leurs captifs pour les amener sur leur place publique ; large carré de terrain qu’entourait la cabane du conseil et les ouigouames des chefs de la bourgade.

Presque tous les sauvages étaient réunis là, attendant les Français, avec lesquels on avait songé à s’amuser, avant de les tuer.

Chaque fois que des guerriers amènent des prisonniers à leur village, ils ont l’usage de les faire passer par les baguettes avant d’entrer dans l’enceinte palissadée de la bourgade.

Comme les blancs, pour une cause connue, n’étaient pas en état de passer par les baguettes à leur arrivée, on avait remis à quelques heures plus tard cette cérémonie.

Les sauvages ont dû apprendre ce jeu des matelots : car dans la marine la peine de la bouline est très ancienne, et ressemble assez au jeu des baguettes pour être la même chose sous deux différents noms. Ce châtiment était infligé pour vol d’une valeur de moins de cinquante livres ; absence au poste dans un combat par poltronnerie, ou autres délits. Pas plus de trente marins armés de garcettes ne pouvaient former la haie double à travers laquelle le coupable passait. Au passage les coups pleuvaient. Franchir cette haie une fois s’appelait une