Page:Roy - Le cadet de la Vérendrye, 1897.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
LES KINONGÉ-OUILINIS

pousse légèrement d’abord, puis les secoue rudement et les appelle par leurs noms ; mais personne ne répond.

Tous dorment profondément.

Le foyer, se ranimant, jette sa clarté renaissante sur cette scène nocturne et nous permet de reconnaître l’homme dont le sommeil a fui les paupières, tandis que ses confrères ont comme du plomb dans la tête et les membres.

C’est Brossard, dont un sourire de triomphe fait naître sur ses lèvres un rictus effrayant.

M. de la Vérendrye est enfin à sa merci ! Il va pouvoir le fouiller et lui enlever l’amulette ! Il en connaîtra le mystère ! Après, il saura bien la cacher et l’on ne pourra jamais soupçonner qui est le voleur.

Il jouit de son succès et le savoure.

— Dormez, mes chers amis, leur dit-il. Vous avez travaillé fort, ce dernier jour ; vous méritez de bien reposer.

Et il ricanait en continuant :

— Mes gars ! vous avez trop mangé ce soir ! cela appesantit la tête quand on prend un trop copieux repas à la fin du jour, et… surtout quand on y a mis certaines herbes qui aident à tenir les yeux bien clos.

— Maintenant, continua-t-il, le secret !… l’amulette… Je brûle d’avoir le dernier mot de cette affaire…

Il s’approcha de M. de la Vérendrye, mais il s’arrêta tout à coup.

Il lui sembla entendre le bris d’une branche dans le fourré voisin. Il écouta attentivement ; aucun bruit ne vint troubler le silence de la nuit.

— C’est peut-être une des sentinelles, dit Brossard, je n’y avais pas pensé.

Élevant la voix, il appela :

— Est-ce toi, Vannier ?

Pas de réponse.

— Est-ce toi, Saint-Laurent ?… Est-ce toi, Durand ?

Mais ses interrogations furent sans échos.

— Suis-je fou ? les sentinelles ne sont pas plus fortes que les autres !… Tous ont mangé de mon ragoût aux fines herbes, et tous dorment !… Allons ! à l’œuvre !

Il se pencha sur M. de la Vérendrye pour visiter les poches de son habit.

Il s’arrêta épouvanté.

Un cri effroyable venait de résonner à son oreille et, en un clin d’œil, il se vit terrassé et garrotté.

Ses compagnons eurent le même sort que lui, mais le narcotique puissant continua son œuvre, et nul ne s’éveilla alors.

Ce que voyant, les sauvages, qui s’étaient emparés des Français surpris de ce fait, s’adressèrent à Brossard, qui se croyait sur le point d’être massacré et ne savait à quel saint se vouer. Il eût voulu en invoquer quelques-uns, mais ne se rappelait plus comment le faire. À Dieu, il se serait bien recommandé ! Hélas ! toute sa vie passée à faire le mal se dressait, terrible, devant lui.