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UNE PAIRE DE COQUINS

— Ah ! tout de suite, mon bon M. Brossard.

Et le bonhomme s’élança au cellier pour rapporter ce que demandait son hôte, puis à la cuisine ordonner le déjeuner.

— Maintenant, se disait ce dernier, j’espère que Lanouiller ne tardera pas trop, autrement, j’aurais besogné pour rien…

Pendant qu’il ingurgite quelques coups d’eau-de-vie, et qu’il est en pleine lumière, je me permettrai de le croquer sur le vif.

Brossard, devant jouer un rôle important dans ce récit, il convient que j’en donne une petite description, au physique seulement, car au moral le lecteur pourra le juger bientôt.

Cet homme ne dépassait pas la moyenne, environ cinq pieds cinq pouces, un peu maigre, mais moins que ne le faisaient paraître ses pommettes saillantes. Son visage était jauni par le hâle et rougi par un usage immodéré et prolongé de méchantes liqueurs enivrantes, vrais toxiques.

Il louchait de l’œil gauche, et quand un rictus entr’ouvrait sa bouche et mettait à nu quelques dents jaunes et ébréchées, on ne pouvait réprimer un frisson de crainte en songeant avec effroi que la rencontre de cet individu, dans un endroit isolé ou tard le soir, n’importe où, ne serait pas bonne à faire.

Tout à coup, un homme parut sur le seuil de l’auberge.

Un nouveau personnage venait d’entrer. Brossard eut une exclamation joyeuse.

— Tiens ! Lanouiller !… Arrive donc ici, paresseux ! lui cria-t-il. Il y a longtemps que l’on t’attend !

Lanouiller obéit et prit place vis-à-vis de Brossard.

— As-tu déjeuné ? demanda ce dernier ?

— Non.

— Alors, ça se trouve bien, tu partageras mon repas, et pendant que nos dents travailleront, nous parlerons… car j’ai une importante chose à te communiquer.

Et jetant un coup d’œil dans la salle pour s’assurer qu’ils étaient seuls, il dit plus bas :

— Si tu veux coopérer avec moi dans une petite affaire où tu ne courras aucun danger, notre fortune est faite, à tous deux !… Nous aurons de l’or… des monceaux d’or !…

— Dis-tu vrai ? répliqua Lanouiller, surexcité.

— Là ! là ! fit Brossard. Ne te monte pas si vite ; garde un peu plus de pouvoir sur tes nerfs… Il ne faut pas que nous attirions l’attention de maître Lagarde, que j’entends venir avec mon déjeuner.

L’aubergiste entrait, suivi d’un aide, et en un tour de main, un repas succulent s’étalait sur la table. Les narines des deux lurons se dilatèrent et aspirèrent avec volupté le fumet des viandes placées devant eux.

Ne songeant qu’au présent, ils attaquèrent avidement le déjeuner, n’étant point habitués à pareille bonne fortune.

D’amples libations arrosèrent leur repas.

Enfin, quand ils eurent englouti presque tous les mets servis, Lanouiller songea le premier aux affaires.