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UNE PAIRE DE COQUINS

Joseph ramassa les petits papiers, cartes et textes, qu’il roula et glissa dans la cavité de l’amulette, puis, après l’avoir bien fermée, la mit dans la poche de son habit.

— Si tu veux, Pierre, nous dirigerons nos pas vers l’auberge où repose la dépouille mortelle du chef sauvage ?

— J’allais te le proposer, dit Pierre.

Au même instant, un grattement se fit entendre à la porte de la chambre de Joseph et, sur la réponse de ce dernier, un domestique entra, portant une missive à son adresse.

Joseph la prit et la lut.

Elle était du sieur Varin, sub-délégué de l’Intendant, ou, si on trouve cela plus clair, du juge de Ville-Marie, le priant de passer à son bureau pour déposer ce qu’il savait du meurtre commis la nuit précédente sur la personne du Mandane, le Bison.

Les deux inséparables s’y rendirent à l’instant.


V

UNE PAIRE DE COQUINS


Le matin qui suivit la nuit du meurtre de la rue Notre-Dame, vers les sept heures, un gaillard, de singulière apparence, entrait à l’auberge du Grand Trappeur, rue Saint-Paul.

Ce personnage que Lagarde, l’aubergiste, salua du nom de Brossard, s’installa à une table près de la fenêtre de la rue. Il interpella le maître de céans d’une voix rude.

— Hé ! père Lagarde, dit-il

Et, d’un geste de la tête, il lui fit signe de venir à lui.

L’aubergiste, d’un air mécontent, s’approcha, se disant que si Brossard voulait encore avoir à crédit, eh bien ! non, il ne le ferait pas ! il en avait trop donné jusqu’ici du crédit, pour continuer encore.

Il fut agréablement surpris et réjoui, quand il s’entendit dire :

— Déridez donc votre beau visage, Lagarde mon ami, car je suis certain que ce que je vais vous apprendre vous plaira… Faites-moi mon addition de ce que je vous dois, je viens vous payer.

À ces mots, Brossard tapa sur la poche de son habit, qui rendit un son métallique.

Aussitôt, la face rubiconde du maître du Grand Trappeur se rasséréna.

— Ah ! je savais bien que je ne perdrais rien avec vous, cher M. Brossard !… Et puis, avec cela… le brave homme allait dire : il n’y a pas de presse, vous savez… Mais il se ravisa et dit : Avec cela, est-ce que vous ne consommerez pas quelque chose, ce matin ? l’air est trop vif, piquant, et, tenez ! j’ai de quoi dans ma cave, frais arrivé de France, qui vous réchauffera le sang !

— C’est bien, apportez-en une bouteille pour commencer, en attendant un ami et le déjeuner, que vous allez me préparer.