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LE SECRET DE L’AMULETTE

mais moi ?… je n’en suis pas encore, et j’aimerais beaucoup à en être.

— Ne crains rien à cet égard, mon cher, je me fais fort de te caser dans notre troupe ; — et je serai bien content de t’initier aux charmes de la vie aventureuse, qui sera la nôtre dans quelques mois.

— Combien serons nous de temps absents de Ville-Marie ? Le sais-tu ?

Joseph se recueillit et calcula mentalement la durée de leur absence :

— Probablement trois ans !… pas moins, peut-être davantage.

— Eh ! bien, je dis que je ne vais pas perdre une seule occasion de m’amuser, d’ici au moment du départ… me créer en quelque sorte, une foule de tendres souvenirs pour occuper mon esprit, quand le soir, aux haltes que nous ferons, je fumerai, silencieux et rêveur, près du feu de camp.

— Tu vas donc essayer de revoir l’aimable brunette du bal de M. Longueil ?… Prends garde ! Si tu succombes devant le dieu de l’amour, tu n’auras plus la force de venir avec nous.

— Sois en repos là-dessus, mon cher chevalier… mon cœur ne s’embrase pas aussi facilement… ni pour mademoiselle Boucher de la Périère, ni pour mademoiselle de Montigny, si charmeuse qu’elle soit.

Et il donna à cette dernière phrase une intonation taquine, à l’adresse de M. de la Vérendrye.

— Y a-t-il longtemps que tu connais mademoiselle de Montigny ? demanda Joseph à son compagnon.

— Oh ! oui… plusieurs années…

— Tant que cela ?

— Ce n’est pas si long. Pourquoi t’exclamer ainsi ?

— C’est que je suis très étonné que tu n’aies pas brûlé de l’encens à son autel !… que l’on ne te compte pas au nombre de ses adorateurs !…

— Eh bien ! pour être franc avec toi, je vais t’avouer que j’ai essayé de brûler de l’encens, comme tu dis si joliment, aux pieds de cette petite divinité blonde, mais j’en ai été pour mes peines…

Joseph eut un moment de gaité, mais Pierre continua imperturbablement :

— Je m’en suis vite consolé… pas même versé une larme… Je me disais qu’il y en avait beaucoup de plus belles qu’elle, et…

— Arrête ! s’écria, Joseph en riant ; arrête ! tu blasphèmes !…

Mais en souriant, Pierre acheva ce qu’il voulait dire :

— … Et puis d’ailleurs ! tu sais, moi, je n’ai jamais été bien fol pour les yeux bleus !…

— Faisons la paix, dit de la Vérendrye, et tu y gagneras, car j’attaquerais ton idole aux yeux noirs.

En riant, ils se donnèrent la main, et conclurent un armistice de quelques heures, car l’incorrigible de Noyelles, ne pouvant réprimer son humeur gouailleuse bien longtemps, était sûr de revenir à la charge bientôt.