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L’HISTOIRE DU BISON

— Et toi ? me demanda-t-il, soupçonneux.

— Moi, je vais aller trouver le grand chasseur blanc qui est venu ici, cet hiver. Je le suivrai partout où il ira… il aura besoin d’un guide… il ne me refusera pas comme tel… et le Bison pour éviter toute lutte avec son frère qu’il aimait tant… se condamnera à l’exil, à la vie loin de tout ce qui lui est cher !…

Un revirement visible se fit dans l’attitude de l’Aigle Noir ; de meilleurs sentiments renaissaient en lui. Le chef en était heureux.

— Le Bison, ne s’éloignera pas des Mandanes, dit l’Aigle Noir, après un silence ; mais ce sera le mauvais frère qui a prêté l’oreille au méchant manitou qui le tourmentait ; il a eu tort et le reconnaît maintenant ; il doit souffrir seul, mais que le chef ne lui retire pas son affection…

— La décision du chef est bien pesée et inébranlable… Il n’a plus qu’une chose à demander. Voici : accepte l’amulette du Bison et garde-la en souvenir de lui.

L’Aigle Noir voulut encore tenter quelques observations ou objections, mais voyant qu’il n’y gagnerait rien, se décida à imiter l’action de son frère, lui présenta le talisman pendant à son cou.

C’était un objet fabriqué du bois du cerf, représentant un aigle. Cet emblème était teint en noir.

Puis, le chef désirant la solitude, son frère se retira, et le laissa seul, en proie à ses noirs chagrins et aux tristes pensées qui l’assiégeaient. Le Bison éprouva un certain soulagement du tête-à-tête qu’il avait provoqué et de la décision prise.

Il fit savoir aussitôt aux chefs subordonnés et aux premiers guerriers de la bourgade, qu’il voulait les voir réunis en grand conseil le lendemain, ayant une communication importante à leur faire.

Ensuite, il prépara ses armes et quelques effets pour son départ, et comme la nuit était venue, il sortit de son ouigouam et s’en alla errant à l’aventure vers le bois avoisinant le village Mandane. L’air frais du soir rafraîchit son front brûlant et au retour à sa couche il éprouva plus de calme au cœur, mais le sommeil ne vint pas clore ses yeux.

Le moribond se tut pendant quelques instants. Ses auditeurs crurent que les souvenirs évoqués l’avaient ému, et respectèrent son silence. Mais il n’y avait pas que cela ; il avait trop parlé et s’était affaibli, et lorsqu’il reprit la parole il dit aussitôt aux deux amis :

— Ah ! le Bison a fait sa dernière course, et la vie s’en va rapidement. Il lui faut abréger un peu son récit, afin de ne pas emporter dans la tombe le secret qu’il veut vous confier… Donnez, demanda-t-il, du breuvage préparé par l’homme à la médecine des blancs, afin que je puisse continuer…

Tandis que Pierre soulevait la tête du mourant, Joseph lui glissait entre les lèvres le contenu d’une cuillerée du cordial réclamé par le peau-rouge.

L’effet de la potion administrée fut immédiat ; comme le prouvèrent une légère coloration aux pommettes des joues et la parole plus vive du sauvage.