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L’HISTOIRE DU BISON

promettant de revenir de bonne heure le matin, le Bison reprit ses confidences inachevées :

— Le Bison, dit-il, avait un jeune frère qu’il chérissait beaucoup. L’Aigle Noir figurait au rang des meilleurs guerriers de la tribu. Douze lunes séparaient nos deux existences.

D’après la coutume des Mandanes, le Bison remplacerait son père lorsque celui-ci aurait cessé de vivre ou serait trop âgé pour gouverner.

Vint un jour où le père trouva la mort dans une embuscade dressée par les Sioux des prairies, et le plus vieux des deux fils occupa la première place à la tête des guerriers de la bourgade. Mais peu de lunes avaient passé lorsqu’il remarqua quelque chose d’étrange dans la conduite de son frère. Inquiet, ne sachant ce que cela voulait dire, le nouveau chef, qui aimait profondément l’Aigle Noir, le surveilla attentivement et finit enfin par découvrir qu’il ourdissait un complot dans l’ombre, avec ses partisans, quelques mécontents de la tribu, pour se débarrasser du Bison. Celui-ci en fut atterré, chagriné immensément. Il était loin de s’attendre à cela, mais le fait existait ; l’ambition avait étourdi son frère.

Le chef le fit venir dans son ouigouam, et seul à seul, lui déclara ce qu’il avait appris.

— Est-ce bien l’Aigle Noir, dit le Bison, qui veut nuire à son frère ?… à son frère qui lui donnerait tout ce qu’il possède pour lui éviter toute mauvaise fortune ?… Qu’a-t-il donc fait pour mériter cela ?… Le jeune chef a suivi les conseils de son père pour être sage et bien diriger la bourgade, et il ne croyait pas qu’il y existât des mécontents… Mais le chef a lu dans le cœur rebelle et voit que l’ambition y règne : l’Aigle Noir veut se débarrasser du Bison afin de lui succéder comme chef. Eh bien ! son désir s’accomplira, mais sans effusion de sang ; le trouble et la discorde passeront loin de nous.

« Ton frère a lu dans ta pensée, et s’est beaucoup tourmenté au sujet de la ligne de conduite à suivre en ce cas. Pour s’affermir dans le plan arrêté, il a consulté un homme blanc[1] dont les conseils sont sages, et celui-ci approuve le Bison. »

L’Aigle Noir refusa d’abord d’écouter son frère, et protesta fortement de son innocence, mais ce dernier avait amassé des preuves irréfutables avant de s’ouvrir à l’ambitieux, et il lui fut très facile de le confondre.

Alors, sombre, farouche, l’Aigle Noir attendit que son frère eût fini de parler pour se déclarer, probablement, sur la nature de ses sentiments, qui, sans doute, paraîtraient cruels, douloureux à son aîné.

— Ma résolution est prise, dit ce dernier. Demain, le Conseil s’assemblera, et devant les principaux guerriers de notre nation, tu seras proclamé chef à ma place… Es-tu content ?…

  1. En l’hiver de 1739, M. de la Vérendrye laissa deux hommes chez les Mandanes pour y apprendre la langue et étudier le pays, &c.