Page:Roy - La main de fer, 1931.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
LA MAIN DE FER

nouvelle journée apportait la même monotonie aussi accablante que la veille ; et cela lui faisait désirer ardemment l’époque où la navigation reprendrait son essor vers l’Amérique Septentrionale.

Il est bien probable qu’il aurait aimé à prendre part à quelque aventure de nature à lui procurer plus de mouvement, d’excitation. Peut-être en fit-il le souhait en lui-même ou l’exprima-t-il tout bas ? Que cela soit, ou non, tel était l’état de son esprit.

Après avoir joui d’une accalmie, le vent allait changer et pronostiquer des bourrasques surprenantes, comme on le verra plus loin.

Un jour, M. le prince de Conti convia M. de la Salle à dîner pour lui présenter un jeune officier de l’armée française, que la paix de Nimègue, tout récemment conclue, laissait sans emploi. Il le lui recommandait instamment à titre de lieutenant, et louait tant ses bonnes qualités, son caractère droit, sa volonté ferme, sa bravoure et sa fidélité à toute épreuve, que la curiosité de l’explorateur en fut fortement piquée.

Car un tel homme, en lequel il pourrait reposer sa confiance serait d’une importance capitale pour l’exécution de ses projets futurs, et depuis son séjour en France, il n’en avait pas rencontré de semblable.

— Je ne serais pas surpris, pensait-il, au contraire, j’éprouverais plutôt de l’étonnement, que monseigneur colorât les talents de celui qu’il me recommande, afin de m’engager à le prendre avec moi… il en est toujours ainsi, en faveur des protégées que l’on veut placer… Et, pour plaire Son Altesse, que ne ferais-je pas ?… Enfin ! nous verrons !…

Chez M. de Conti, un laquais reçut M. de la Salle et le conduisit dans l’un des salons où quelques gentilshommes conversaient avec l’hôte, en attendant l’heure du dîner. De la Salle les connaissait tous, moins un que le maître de céans lui présenta. C’est ce dernier qui avait fait le sujet de la lettre du prince.

— Le nom de M. le chevalier de Tonty, fit De la Salle en s’inclinant vers celui-ci, offre une consonance agréable avec celui de notre amphitryon. Cela est d’un bon augure, monsieur !

— J’en suis flatté, M. de la Salle, répondit le chevalier, et j’espère qu’au sortir de l’entretien que je sollicite, le jour qu’il vous plaira, et que vous m’accorderez, n’est-ce pas ? j’aurai pu gagner vos bonnes grâces et être agréé de vous.

— Je le souhaite, monsieur !… Vous désirez donc beaucoup voir l’Amérique ?

— Je désire ne pas demeurer inactif ! J’ai embrassé la carrière des armes de bonne heure, et je l’aime, mais la paix de Nimègue que l’on vient de conclure me laisse sans perspective d’avancement.

— Vous avez pris part à la campagne contre les Hollandais ?

— Non, monsieur ! Je reviens de la Sicile… J’étais à l’attaque de Messine, l’an dernier, lorsque les troupes françaises, sous les ordres de M. de Vivonne, frère de Madame de Montespan, se battirent contre les Espagnols.

— Ah !

— J’y fus blessé, et j’eus le malheur d’être fait prisonnier.

— Je serai charmé, M. le chevalier, de vous entendre dans le récit de vos faits d’armes contre l’Espagnol !… Pourrez-vous venir chez moi, à l’hôtel où je suis descendu : « Aux Armes de Bretagne »… voyons ! dans trois jours ?…

— Certainement… C’est aujourd’hui le premier jour de la semaine… ce sera donc jeudi ?…

— Oui.

— Votre heure, M. de la Salle ?

— Venez diner avec moi à sept heures.

— J’accepte avec plaisir.

À ce moment le majordome apparut dans la porte du salon, et majestueusement annonça :

— Son Altesse est servie !

Aussitôt, les convives du prince passèrent à la salle à manger, et prirent place autour d’une table somptueuse. Les invités de Mgr de Conti n’attendirent pas l’apaisement de leur faim pour continuer la conversation commencée quelques instants auparavant dans le salon, mais bientôt, et tout en savourant les mets délicats, l’on se mit à parler de la Nouvelle-France.

Le marquis d’Aubigny, le comte de Montbazin et le baron de Coissy partageaient avec celui que nous connaissons, l’honneur d’être les hôtes de Son Altesse.

Le marquis après un gentil compliment au prince sur certains mets rares qu’il venait de goûter, dit :

— Vous avez demeuré longtemps dans ces régions lointaines, M. de la Salle ?