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LA MAIN DE FER

Et chacun de se demander quel était le coupable.

L’attentat découvert à temps n’eut pas de conséquences graves.

Une enquête eut lieu tout de suite et fit ressortir le fait que personne n’avait approché le malade durant les quelques heures précédant l’empoisonnement, si ce n’est Jolicœur qui, seul, préparait ses remèdes et les lui donnait.

Comme ces médicaments étaient dans un placard de la chambre de M. de la Salle, pouvait-on concevoir qu’il aurait permis à n’importe qui de s’en approcher ?

À moins que la fatigue ou le sommeil, alourdissant ou assoupissant ses paupières, ne fussent survenus au moment Jolicœur s’était absenté et ne lui eussent ravi la juste notion de ce qu’il se passait auprès de lui.

Mais il ne voulut point admettre cette hypothèse : il n’y avait donc plus d’autre alternative que de déclarer Jolicœur coupable, malgré ses protestations d’innocence.

C’est ce que firent ses juges.

On conduisit donc le jeune homme dans un bâtiment du fort, et un soldat placé en faction devant la porte de la prison, fut chargé de prévenir toute tentative d’évasion de sa part.

Le greffier du tribunal ayant lu la sentence, le major-commandant ordonna à un sergent d’aller avec deux hommes chercher le prisonnier.

Tous les regards se fixèrent sur la porte du fort qui se ferma sur les soldats, et qui devait se rouvrir pour leur donner passage avec le malheureux jeune homme.

Lorsqu’elle tourna sur ses gonds, le sergent seul, en sortit en courant. Son air excité révéla tout de suite quelque chose d’anormal.

Les spectateurs intrigués s’avancèrent un peu et se penchèrent en avant pour mieux saisir ce qu’il allait dire. Jugez de leur surprise en entendant l’officier subalterne annoncer :

— Mon commandant… il s’est évadé !…

– Comment ?… que dites-vous ?… évadé ?…

— Oui ! En entrant dans la bâtisse ousqu’on le t’nait enfermé, j’ouvre la bouche pour lui dire qu’on l’attendait pour la cérémonie… mais je m’aperçois que la chambre était vide… J’examine aussitôt la place comme il faut, afin de découvrir comment s’que Jolicœur s’avait éclipsé, mais on ne voyait pas de traces. Comment qu’il a fait pour s’en aller ? que je me demandais à moé-même… Tout à coup un de mes hommes, — car ils cherchaient aussi, — m’appelle et m’dit en me montrant l’âtre de la cheminée : « Voyez donc, là, sergent !… Tout’ c’te suie et ces pierres calcinées qu’on dû dégringoler de là-haut !… M’est avis que l’oiseau à disparu par là… » C’était la seule probabilité probable… aussitôt, j’ordonne à mes hommes de jeter l’alarme dans le fort et d’fouiller partout… car je crois que l’évasion est toute fraîche !…

— Je vais faire cerner le fort, dit le major.

— Mon officier, il y a encore aut’ chose !

— Qu’est-ce ?… dites vite !…

— Eh ben !… au-dessus du manteau de la cheminée on a trouvé deux dessins grotesques faits avec du charbon. Le premier figure un bonhomme le bras levé, comme pour frapper, et tenant un couteau à la main. La signification s’imposait : Vengeance !… Dans l’aut’ image, le même individu ayant les deux mains en ligne avec le nez, faisait une nique expressive…

Quelques détonations retentirent à l’intérieur du fort.

Ce fut alors qu’en levant la tête vers les fortifications, chacun put voir un homme noirci, sauter à bas de la palissade, du côté du fleuve.

C’était Jolicœur !

Un cri s’échappe de toutes les poitrines :

— Jolicœur !… c’est Jolicœur !… il se sauve !…

— Feu !… feu !… Sus à lui !… vociféra le major.

Une courte distance sépare l’enceinte du poste de la berge, l’évadé y arrivera-t-il avant d’être atteint par les balles qu’on lui envoie ?

L’emplacement du fort avait été choisi par Frontenac, en 1673. En amont des Mille Îles entre lesquelles se précipitent les eaux resserrées du lac Ontario, une péninsule s’avance dans laquelle se creuse une baie profonde. C’est aux abords de cette baie, à quelques mètres seulement de l’onde, qu’était bâtie, sur un plateau, la palissade de Cataracouy.

Jolicœur arriva aux rochers surplombant le fleuve, et prit son élan pour y plonger. Auparavant, il se retourna et jeta vers le