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LA VIE CANADIENNE LITTERATURE ET LITTERATEURS Numéro 51 SUPPLEMENT AU “ROMAN CANADIEN’ Mai 1931 Chômage vs Belles-Lettres Il semble qu’il faille revenir sans cesse aux redites, aux lieux communs. C’est, en effet, un lieu commun que d écrire « qu’il ne se passe pas de jour que nous, Canadiens, ne soyons traités de race inférieure ». Un historien français du siècle dernier avait vu chez nous « un grand peuple », et nous méritions cette distinction. Mais voilà que tous ne sommes plus un grand peuple... Nous ne sommes qu’un petit peuple, quelque chose d’insignifiant, de sans valeur aucune, qu’on dédaigne, qu’on bafoue même. Certains de nos gouverneurs anglais l’ont dit assez haut et avec une jolie moue de mépris. Et si l’on nous refait le même éloge de temps à autre, nous nous récrions, nous protestons, nous nous insurgeons. Pourquoi donc ces protestations ? En fin ce compte, est-ce que nos détracteurs ou soidisant tels n’ont point raison ? Et qu’avons-nous à nous plaindre si l’on nous rabaisse constamment ? Et à qui la faute ? Ne travaillons-nous pas nous-mêmes à nous rabaisser sans cesse ? Ne prenons-nous pas un maladif plaisir à nous poser nous-mêmes sur l’échelon inférieur ? Ne donnons-nous point tous les jours et en toutes occasions raison à nos dénigreurs ? Et notre snobisme et notre manie de singer l’Anglo-saxon — comme si nous ne pouvions pas penser et agir par nous-mêmes — ne nous imposent-ils pas la marque d’infériorité ? Toutes ces questions et d’autres encore, nous ne nous les posons pas de peur d’en trouver la réponse. Et dire que c’est notre classe intellectuelle qui nous abîme et nous anéantit ! Dire que ce sont nos dirigeants — exceptions faites, mais si peu ! — qui travaillent, inconsciemment, espérons-le, à nous déprécier dans l’esprit des .autres peuples. Encore un exemple tout récent, tout chaud, sinon tout froid : les journaux nous informent qu’un homme public de Québec, et, s il vous plaît, un échevin de la vieille, de l’ancienne capitale de la Nouvelle-France, s’écrie : « Qu’est-ce que cela peut faire {jour les chômeurs... des Belles-Lettres ? » Voyez-vous ça ? Oui, superbe ’.magnifique ! splendide ! Bis et ter ! monsieur l’échevin ! Vous allez bien ! Vous édifiez du coup notre grandeur et notre gloire !Vous exhumez votre race de l’infériorité ! Allez, allez, le monde vous prête l’oreille !... Enfin ! nous qui nous pensions sans « grand homme », le voici ! Ecce ! Nous savons que l’histoire de l’humanité fourmille de grands hommes dont les gestes et paroles ont passé à la postérité ; mais nul, non nul de ces grands hommes, du présent comme du passé, n’a trouvé pareil joyau et en aucune langue existante. Bravo ! Vite, une décoration ! une croix d’honneur !un granit ! un bronze inaltérable pour cet homme, ce grand homme du vieux Québec ! Ah ! du coup nous voici redevenus « un grand peuple » ! Au fait, peut-on nourrir d’une métaphore ou d’une hyperbole un claquedent, un mangemisère ?

Non, n’est-ce point ? C’est du pain

qu’il faut d’abord. Donc, ce spirituel échevin de Québec a raison... mille fois raison ! Splendissime. . . Et pourtant. . . la métaphore, même la plus humble des métaphores, peut apporter du pain à l’homme au ventre creux. Quoi qu’on dise — sans parler du journal — le livre n’est pas utile uniquement à l’esprit, mais il l’est également et dans une assez large mesure, au corps de l’homme. Et disons-le tout de suite : le livre nourrit de pain ! Et