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LA MAIN DE FER

mis à la disposition du Découvreur par le roi en vue de fonder une colonie aux bouches du Mississippi, eut aussi à souffrir plusieurs fois des gestes et des paroles de M. de la Salle. Le vieux capitaine, De Beaujeu, avait été blessé de la façon que prit La Salle pour lui recommander au cas qu’il lui adviendrait malheur d’en faire avertir sans délai le chevalier de Tonty afin qu’il prit charge de l’expédition. C’est évidemment la raison qui fit, lorsque les navires dépassèrent l’entrée du Mississippi, sans que l’on s’en doutât et que bâtiment portant La Salle alla s’échouer dans la baie Matagorda, que le capitaine de Beaujeu abandonna la partie, vira de bord et laissa De la Salle sur ces rives inhospitalières et retourna en France, où il répandit la nouvelle que celui-ci avait péri dans un naufrage, près du Mississippi.

Tonty, comme son chef le lui avait mandé, organisa un parti en vue d’aller à sa rencontre, et, en février 1686, il s’embarqua au fort Saint-Louis avec vingt-deux français et onze sauvages afin d’accomplir ce projet.

Il ne trouva aucune trace de son ami au delta du Mississippi. Il retrouva la colonne érigée quatre ans auparavant lors de la prise de possession du pays au nom du roi de France ; elle était renversée et à demi enfoncée dans la vase de ce sol marécageux. Il dépêcha des canots pour fouiller les anses le long du rivage à l’est et à l’ouest, mais ses envoyés revinrent sans nouvelles.

Dans son désir de retrouver son chef, il proposa à ses engagés de naviguer sur les côtes jusqu’à Manhatte (New-York) même, mais les dangers inconnus d’une telle aventure effrayèrent ces cœurs pourtant si bien trempés, et ils refusèrent de le suivre dans telle entreprise.

Désolé, presque découragé, Tonty songea alors au retour vers le fort Saint-Louis.

On redressa la colonne tombée, et on la planta sur un terrain plus élevé, hors de la prise des eaux démolissantes du golfe du Mexique, et Tonty traça quelques lignes pour La Salle qu’il confia à un chef des Bayagoulas[1]

Quelques-uns des gens de l’expédition exprimèrent le désir de s’établir au pays des Arkansas, sur la seigneurie cédée par De la Salle, lors du voyage précédent. Tonty leur accorda cette demande. Puis, revenu au fort Saint-Louis il y trouva une lettre du marquis de Denonville exigeant sa présence à Montréal afin d’aller en guerre contre les Tsonnontouans. Se conformant à cet ordre, il organisa une troupe de Français et de Sauvages illinois et partit pour Ville-Marie.

Cette expédition contre les Iroquois fut de courte durée, quand, Tonty libre de nouveau, reprit la route de l’ouest.

Au fort Saint-Louis des Illinois, il rencontra le frère de Cavelier de la Salle, l’abbé Cavelier, et quelques Français. On lui apprit que De la Salle vivait encore, qu’il était dans les terres du Texas et reviendrait bientôt aux Illinois.

Heureux de recevoir ces bonnes nouvelles, le brave Tonty les traita généreusement et prêta à l’abbé des marchandises pour une valeur de quatre mille livres, afin qu’il put opérer plus facilement son retour en France.

Jugez de l’indignation du bon chevalier lorsque peu de jours après le départ de l’abbé et de ses compagnons d’infortune, il apprit d’un des hommes établis aux Arkansas qu’on l’avait délibérément trompé en lui cachant la mort de son supérieur. Cavelier De la Salle avait été assassiné par un Français de sa troupe, poussé à bout par ses plaintes, ses reproches, son attitude querelleuse insociable continuelle, par ses exactitudes, ses méfiances et un travail sans trêve, sans repos.

Tonty, le cœur brisé à cette nouvelle, résolut d’aller au secours de la petite troupe perdue, sur le littoral du golfe, vers la rivière Sainte-Trinité. La distance à parcourir, à travers des centaines de milles de forêts, de marais, de déserts, ne l’effrayait pas.

Il n’eut pas un instant l’idée que la petite troupe de La Salle pouvait tomber au pouvoir de sauvages hostiles — ce qui eut lieu — et, aux premiers jours de décembre 1688, il partit dans un canot avec cinq Français et trois Sauvages, entreprenant sa troisième course sur le grand fleuve.

Ce n’est que le dernier jour de mars qu’ils arrivèrent à la rivière Rouge. L’aventure fut si dure et pénible que deux indiens et quatre blancs refusèrent d’aller plus loin, et malgré ses instances, ses prières, ils l’abandonnèrent.

Avec ses deux suivants et un esclave, Tonty continua. Son aide français se perd dans

  1. Cette lettre fut remise, quatorze ans plus tard par ce chef sauvage à Lemoyne d’Iberville.