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LA MAIN DE FER

que Dupayrous, — le valet de Baugy, — leur tenait des propositions alléchantes pour entrer au service du gouverneur-général.

Cela indigna Tonty qui courut chez Baugy se plaindre de la tentative d’embauchage de ses gens. On lui montra un papier signé par le gouverneur, spécifiant le rappel de Tonty à Québec, s’il cherchait noise à ses officiers. Tonty préférait demeurer au fort Saint-Louis afin de surveiller les intérêts de son chef, et il cessa de se récrier de l’injuste attitude du lieutenant Baugy.

Le 20 mars 1684, des Miamis, du village organisé par Tonty, sous la protection du fort, vinrent annoncer à Baugy l’approche d’un gros contingent d’Iroquois peints en guerre.

Aussitôt le commandant du poste fit venir Tonty et lui offrit la direction des affaires, car il connaissait mieux les tactiques indiennes. Tonty accepta.

C’était pour la défense commune.

Une grande excitation régnait parmi les villageois sous le fort. Il s’y rendit tout de suite et les rassura. Il en fit monter aux fortifications et envoya les autres dans l’Île au pied du rocher. La garnison pouvait les protéger efficacement avec ses mousquets.

Enfin, l’ennemi parut.

Tonty estima leur nombre à deux cents. Ils s’établirent en face de la pente conduisant au fort, mais hors de portée des armes à feu.

Peu après, un parlementaire Iroquois s’avança. Tonty envoya au-devant. On reçut le parlementaire à la porte de l’enceinte ; il expliqua son message : les chefs du parti iroquois demandaient qu’on leur livrât les personnes de MM. de la Salle et Tonty.

Ce fut Baugy qui répondit. Il était au côté de Tonty :

M. de la Salle n’est plus ici, et M. de Tonty que voici, vous ne l’aurez que lorsque vous prendrez le fort !

L’envoyé ennemi allait se retirer, mais Tonty l’arrêta, un soupçon lui venait à l’idée :

— Comment s’appellent vos chefs ?

— L’un, Cœur-Joli ; l’autre, le Rêveur !

— Eh bien ! dis-leur qu’ils n’auront jamais ceux qu’ils cherchent !… Gare à eux !…

L’Iroquois retourna aux siens et Tonty en peu de mots mit Baugy au courant des faits occasionnant les inimitiés de Jolicœur et Luigi.

La nuit venue notre chevalier fit descendre l’un de ses hommes jusqu’à la rivière. Celui-ci devait nager à l’Île, y prendre un canot et se diriger vers Michilimakinac avertir De la Durantais de ce qui se passait et lui demander secours.

Le lendemain, les assiégeants tentèrent un assaut ; ils furent repoussés avec perte. Alors, ils s’établirent autour du rocher ayant l’idée de réduire les Français par la famine. Tonty les laissa faire, mais deux jours après, il fondit sur eux impétueusement, leur causa beaucoup de mal, puis rentra au fort n’ayant que quelques blessés.

Il répéta la même chose le surlendemain.

La mêlée fut sanglante et Tonty y perdit beaucoup de monde. Il y fut blessé, mais non gravement. Cependant, il rentra au fort sans trop de confusion.

Le jour suivant, il fut très surpris de ne plus voir signe de vie dans le camp des Iroquois. Redoutant un piège ou quelque ruse, il envoya un éclaireur qui revint après une absence de quelques heures, rapportant que l’ennemi avait disparu. Aussitôt, Tonty alla visiter le campement abandonné, et il remarqua que les Iroquois avaient laissé beaucoup de choses en arrière, indice d’un départ précipité, une panique peut-être.

En visitant le champ de bataille, il reconnut parmi les morts les corps de deux hommes dont les traits n’avaient rien de commun avec les Iroquois. C’était évidemment ceux des deux chefs Jolicœur et Luigi. Il ne put s’en assurer. Il leur fit donner une sépulture convenable, à part de celle donnée aux autres tués.


CHAPITRE XVIII

MORT DE LA SALLE


De La Salle ayant obtenu le rétablissement de son crédit en France, s’empressa d’en faire part à son fidèle ami ; le fort Saint-Louis revenant en sa possession il le priait d’en prendre charge. Cette nouvelle, lorsque Tonty la reçut avait été préalablement appuyée d’une lettre du gouverneur du Canada qui rappelait M. de Baugy et laissait Tonty seul maître du poste et des environs.

Nous l’avons dit déjà, il était difficile de servir sous les ordres de La Salle à cause de son caractère dur et désagréable. Le commandant de la flottille de quatre navires