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LA MAIN DE FER

que ce village avait connu les horreurs d’un massacre. Les cabanes étaient brûlées et les corps entassés pêle-mêle.

Les mots que Tonty avait lus sur la barque au fort Crèvecœur, le choquèrent une deuxième fois. Sur un pan à demi consumé d’une hutte, il revit, tracé au charbon : « Nous sommes tous Sauvages ! »

Jolicœur et Luigi avaient donc travaillé à la défection parmi les engagés de M. de la Salle, au fort Crèvecœur !

Tonty fit part de cette découverte à son capitaine.

Il n’y avait rien à faire là, et l’on se rembarqua.

Le 7 avril, les Français, alors entre les deux longues presqu’îles formées par le fleuve et les deux baies de l’Ouest et Ronde, voyaient s’étendre à perte de vue les flots bleus de la mer.

Arrivé au-delà du Mississippi, De la Salle explora le chenal du milieu, Tonty celui de droite, et le sieur de Boisrondet celui de gauche, et les trois partis débouchèrent sur les eaux du Golfe du Mexique.

Le lendemain eut lieu la prise solennelle du pays au nom du roi de France. De la Salle érigea une colonne portant le lis royal. Le religieux entonna le Te Deum et l’Exaudiat, auquel prirent part les rudes voix les hommes de La Salle et de Tonty.

Une salve de mousqueterie couronna cette affaire, que Jacques La Métairie consigna dans un procès-verbal. Cet acte ajoutait une vaste région au domaine Français.

Les vivres de la petite troupe ayant beaucoup diminué, il fallut forcément songer au retour.

Avant de partir, les blancs plantèrent au lieu de leur halte une grande croix, scellant ainsi par un acte religieux, l’importante découverte qu’ils avaient faite.


CHAPITRE XV

RETRORSUM !


Lorsque les explorateurs reprirent la route pour rentrer en la Nouvelle-France, ils n’avaient plus pour nourriture que quelques sacs de maïs.

Ils eurent bientôt franchi la distance qui les séparait du village des Quinipisas, où une grêle de traits les accueillirent à leur descente du fleuve. Ils y arrivèrent au déclin du jour, et De la Salle envoya son fidèle et dévoué lieutenant en éclaireur. Tonty rapporta avoir vu quelques femmes seulement : les hommes, évidemment, étaient absents en maraude ou en rapine.

Au point du jour, Tonty, bien appuyé, fit irruption dans Quinipissa et enleva quatre sauvagesses. Les autres s’enfuirent dans les bois.

Ces mégères lançaient des cris affreux, que le chevalier interpréta en signaux à l’adresse des absents ; il comprit que son salut et celui de ses hommes demandait une prompte retraite. Aussi s’empressa-t-il de se réfugier sur l’autre rive, où De la Salle venait d’atterrir.

Les Français s’occupèrent sur le champ à s’entourer d’une tranchée, en cas d’attaque. Cela fait, on renvoya l’une des prisonnières avec quelques cadeaux pour faire comprendre que l’on n’avait aucun mauvais dessein, mais qu’un échange de marchandises contre des aliments serait agréable.

Les Quinipisas, qui rentraient chez eux au moment de l’irruption de Tonty en leur village, avertis par les cris de leurs femmes, se hâtèrent et apprirent la nouvelle.

La sauvagesse envoyée par De la Salle fit son rapport. Quelques guerriers traversèrent, et, après des pourparlers où les Français témoignèrent de leurs bonnes intentions par de nouveaux présents, tout le monde passa à l’autre rive, chez les Quinipisas. Les gens de Tonty s’établirent sur la berge ; on leur apporta des vivres, mais le lendemain, de bonne heure, ces canailles, brusquement se ruèrent sur les visages-pâles. Ceux-ci, qui redoutaient une agression et s’y attendaient presque, les repoussèrent vigoureusement. Vers les dix heures du matin, De la Salle donna l’ordre de briser les pirogues des sauvages, ce qui fut fait promptement ; puis, observant une tactique défensive, ses hommes se bornèrent à tirer des coups de feu, seulement lorsque un Quinipisas s’offrait comme point de mire. De la Salle aurait attaqué le village, mais il craignait d’épuiser ses munitions, et il fallait en conserver pour la longue route à refaire.

En l’après-midi, les blancs montèrent dans leurs canots et s’éloignèrent de cet endroit inhospitalier en criant : « Vive la France ! »

L’on se dirigea ensuite avec empressement sur le village des Natchez, où l’on avait laissé en descendant un dépôt de grains.