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LA MAIN DE FER

queuse, détermina nos gens à débarquer sur la rive opposée où, en moins de trente minutes, ils firent un fort. Les habitants de Kappa avaient su que des Français devaient descendre le Mississippi jusqu’à leur village, et ils ne tardèrent pas d’être informés de la proximité des étrangers. Leurs éclaireurs, montés en canots, vinrent à la découverte.

De la Salle les fit aborder et envoya deux des siens, comme otages, à Kappa. Là-dessus, le chef à peau bronzée traversa le fleuve pour fumer le calumet, et ensuite emmena De la Salle chez lui.

Cette nation régala la petite troupe pendant cinq jours, de ce qu’elle avait de meilleur. Le dernier jour, ayant fait la danse du calumet à De la Salle, ils l’envoyèrent à Tongengan, autre village du même pays, à huit lieues de là. Une réception cordiale les y attendait, et ce fut chose pareille à Toriman, six milles plus loin.

Ces villages ainsi qu’un quatrième appelé Osotouoy, sont désignés communément : les Arkansas.

De la Salle y fit arborer les armes du roi.

Le procès-verbal de la prise du pays des Arkansas est du 14 mars.

Ces aborigènes ont des cabanes d’écorce de cèdre. Ils adorent toutes sortes d’animaux.

Les Français trouvèrent le pays fort beau ; une grande variété de fruits y viennent en abondance. Le bœuf musqué, le cerf, l’ours, le chevreuil et les poules d’Inde y sont en quantité. Les sauvages y ont même des poules domestiques.

L’hiver est plus agréable qu’au Nord, car il tombe bien peu de neige, et une pellicule cristalline dans cette morte saison couvre les cours d’eau.

De la Salle obtint des Arkansas des guides pour le conduire chez leurs alliés, les Taensas. Tonty fut délégué pour avertir le premier dignitaire que des visages-pâles le venaient voir.

Le fort palissadé des Toensas est placé sur le bord d’un petit lac, à dix arpents dans les terres. Les cabanes sont faites de bousillage et couvertes de nattes de cannes. Celle du chef suprême, d’après les calculs de Tonty, mesurait quarante pieds carrés ; la muraille environ dix pieds de haut et épaisse d’un pied. Le toit, en rotonde, avait une élévation de quinze pieds du sol.

Tonty, en y entrant, demeura surpris de voir le chef assis sur un lit de camp, avec trois de ses femmes à ses côtés, environné de plus de soixante vieillards, revêtus de grandes couvertes blanches, fabriquées d’écorce de mûrier par les doigts habiles des femmes. Ces dernières ont un vêtement semblable et, chaque fois que le chef leur parle, avant de lui répondre toutes font plusieurs hurlements en criant une couple de fois : Oh ! oh ! oh !… pour marquer le respect qu’elles lui portent.

Ce personnage était aussi considéré parmi les Taensas que Louis XIV au sein de ses adulateurs. Personne ne buvait dans sa tasse ni ne mangeait des mets préparés pour lui. Il était défendu de passer devant lui, et l’on nettoyait la place sur son passage.

Lorsque le chef suprême s’en allait ad patres, on sacrifiait sa première femme, son premier maître d’hôtel et cent hommes de sa tribu pour l’accompagner dans les champs élysées de ces peuplades.

Les Taensas adoraient le soleil.

Tonty visita leur temple, construction du genre de la case du chef et lui faisant vis-à-vis. Il y avait dessus trois aigles empaillés, plantés la tête vers l’Orient. Une haute muraille entourait le temple. Sur cette ceinture murale flottaient au bout de piques, au caprice de la brise, les têtes de leurs ennemis sacrifiés au Soleil.

À la porte du temple, Tonty remarqua un gros billot sur lequel il y avait un vignot, entouré d’une tresse de cheveux grosse comme le bras et longue d’environ vingt toises.

À l’intérieur de l’édifice, les murs sont nus. Au centre, un autel, et au pied de cet autel, trois bûches sont disposées bout à bout, où le feu est entretenu jour et nuit, par une couple de vieux jongleurs qui sont les pontifes du culte.

Ces vieillards montrèrent à Tonty, au milieu de la muraille, un petit cabinet fait de nattes de cannes. Il voulut examiner l’intérieur de cette boîte, mais les sorciers l’en empêchèrent, en disant que c’était la retraite de leur dieu. Tonty soupçonna avec saison, comme il l’apprit plus tard, que ce placard renfermait toutes leurs richesses, telles que perles fines qu’ils pêchent aux environs, et marchandises européennes.

Au déclin de la lune, toutes les cabanes sacrifient un plat plein de mets de ce qu’ils ont de meilleur, qu’ils posent à la porte du temple, et les vieillards ont soin d’enlever