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LA MAIN DE FER

CHAPITRE XIII

LES AVENTURES DE PRUDHOMME


M. de la Salle, dit l’armurier, en commençant son récit, le jour que je vous quittai pour m’enfoncer sous bois pour chasser un peu, vous vous le rappelez, il faisait beau. J’aspirais avec délices le bon air du printemps. Je serrais nerveusement le mousquet que je portais ; à tout moment j’éprouvais l’envie d’épauler mon arme et d’envoyer quelques balles à de beaux gros oiseaux, au plumage brillant, qui s’envolaient effarouchés à mon approche, mais je me réservais pour un gibier plus important. Soudain, je débouche dans une clairière et j’aperçois une bande de magnifiques dindons. Je m’avance avec précaution, et comme je m’apprêtais à leur envoyer le contenu de mon mousquet… prrrout !… ils s’envolent et vont s’abattre sur les branches inférieures d’un arbre, à cent pas plus loin, au bout de l’éclaircie.

Retenant mon dépit, car j’espérais me reprendre, je me faufile sous la feuillée à la lisière du bois, et j’arrive en position, mais voilà que ces prudents volatiles sentent le danger et s’enfuient dans un battement d’ailes qui me semble moqueur. J’observe la direction de leur vol et je me glisse à travers les arbres pour les retrouver. J’eus beau tourner, marcher, aller à droite, à gauche, de-ci, de-là, je fis si bien que je m’égarai.

Dans mon humeur maussade, mon dépit outré d’avoir manqué de circonspection peut-être, et de m’être aventuré si loin sous bois sans faire attention, je fus forcé d’établir une comparaison entre les dindons et moi où ceux-ci avaient l’avantage.

Le soleil baissait pour son coucher et il importait que je profite de sa lumière pour opérer ma rentrée au camp, mais la nouvelle végétation luxuriante, ce fouillis de jeunes arbustes, de buissons, de hautes herbes, de troncs d’arbres gigantesques festonnés de lierre et de lianes de toutes sortes, créaient un état de lieux si troublant, que seul, un habitué eût pu s’y reconnaître et en sortir.

Je me mis à crier, puis je songeai que je pouvais, au lieu de secours, m’attirer des ennemis indiens. Je déchargeai quelques coups de mousquet, pour vous indiquer ma position, mais personne ne vint en réponse à ces signaux de détresse.

Enfin, par prudence, je grimpai dans un arbre pour être hors d’atteinte des quadrupèdes carnassiers qui habitent cette contrée. J’eus soin de m’attacher à la branche sur laquelle je reposais, car le cas survenant que le sommeil m’eût saisi, j’aurais pu choir.

Je passai la nuit comme cela.

Le lendemain je descendis de mon gîte et j’errai à l’aventure, tout en essayant de me retrouver. De mon poste entre ciel et terre j’avais voulu examiner le pays, mais je ne pouvais grimper assez haut pour cela ; à mesure que je m’élevais, les branches plus fines et plus flexibles ployaient sous moi, je dus m’arrêter et descendre.

En l’après-midi de ce jour, sur un arbre renversé qui me servit de pont, je traversai un endroit marécageux, et j’eus à déplorer le malheur irréparable, en ce passage, de perdre ma poire à balles qui se détacha et disparut dans la bourbe.

Mon estomac criait famine. Pour l’apaiser, je mis en joue les oiseaux qui, les premiers, arrivèrent à portée de mon arme à feu, et je sacrifiai ainsi mes dernières balles. Qu’importe ! je mangeai ces bipèdes de la gente ailée, après les avoir rôtis sur un gobelet d’étain ; je profitai du feu pour le fondre et j’en façonnai des balles.

Ce soir-là, j’occupai un lit semblable à celui de la veille. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Au moment où j’allais fermer l’œil, où mes paupières s’alourdissaient, des rugissements de fauves me réveillaient tout à fait, et je passai la nuit dans des transes continuelles, croyant d’une minute à l’autre avoir à subir un assaut des êtres dangereux dont la voix rauque et formidable m’avait troublé. Malgré ma fatigue, je saluai avec ivresse le retour du matin. Les bêtes sauvages rentraient alors dans leur repaire. Cette nouvelle journée fut très dure pour moi. Je marchai beaucoup sans prendre une bouchée.

Pour ajouter à mes infortunes au soleil couchant, j’eus à me défendre de l’attaque d’un gros sanglier. J’aurais été mis en pièce infailliblement, si je n’eusse eu un arbre facile à escalader. Je me félicitais intérieurement d’avoir échappé à ses défenses dangereuses, mais jugez de ma terreur et de mes angoisses quand je vis l’énorme bête s’asseoir et me regarder de ses vilains yeux en même temps qu’elle grognait sourdement. Je voulus allumer une mèche pour tirer du mousquet sur l’animal, mais je ne trouvai plus mon briquet. Dans ma précipitation à