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LA MAIN DE FER

l’ordre de partir. C’est ce qu’ils firent sans délai. Il eût été téméraire de demeurer plus longtemps.

Après cinq lieues de navigation, les fugitifs — elles étaient bien un peu cela, nos connaissances qui avaient nagé fort pour fuir le danger menaçant des jours derniers — atterrirent pour faire sécher quelques pelleteries mouillées et raccommoder le canot.

Profitant de ce repos, le P. Gabriel fit part à Tonty de son désir de se délasser les jambes un peu en marchant à l’entour et récitant son bréviaire. On lui recommanda de rester en vue à cause des ennemis. Absorbé dans la sainte lecture, le bon missionnaire, sans en avoir conscience, en allant et venant, s’écarta d’environ mille pas de ses compagnons et fut pris par quarante Kicapous, lesquels depuis une lieue, suivaient la petite troupe, épiant l’occasion de tomber dessus sans coup férir et de la massacrer. Ils emmenèrent le prêtre un peu plus loin et lui cassèrent la tête.

Voyant que le vieillard ne revenait point, Tonty le chercha avec l’un de ses hommes.

Ayant relevé sa piste, ils la trouvèrent coupée de plusieurs autres qui aboutissaient ensuite à une seule pour ne former qu’un chemin. En s’écartant davantage il y avait danger de tomber dans un guet-apens ; les deux hommes revinrent donc au bord de l’eau rejoindre leurs gens.

Le P. Membré eut beaucoup de chagrin de cette nouvelle.

Les ombres du soir descendaient de nouveau et les Français passèrent à l’autre rive après avoir fait un grand feu au lieu de leur premier atterrissage ; ils se cachèrent et firent bonne garde. Vers minuit, les Kicapous émergèrent du fourré et apparurent autour du feu. Il y avait deux visages-pâles avec eux, ce qui excita vivement la curiosité du chevalier.

— Je parierais, dit-il à l’oreille du Récollet, que ces deux infâmes sont les gaillards voyageant de conserve avec les Iroquois que nous venons de quitter !

Le lendemain, ils retraversèrent chercher leur équipage caché sous un buisson, puis ils attendirent jusqu’à midi et s’embarquèrent, voyageant à petites journées, conservant toujours un faible espoir que le P. Gabriel pourrait les rejoindre. Mais enfin l’on atteignit le lac des Illinois sans autre aventure.

Les voyageurs naviguèrent sur ce lac, remontant au nord, lorsque à vingt lieues du village des Poutéaoutamis ou Renards, le canot d’écorce chavira par un coup de vent subit et l’équipage fut précipité à l’eau.

C’était le jour de la Toussaint.

Heureusement que tout le monde savait nager et chacun se maintint de son mieux à la surface de l’onde. Dans cette position critique l’on travailla à remettre à flot l’embarcation, chose qui s’accomplit avec peine, mais les vivres, les armes, toute la cargaison, pas très volumineuse d’ailleurs, fut engloutie et constitua une perte irrémédiable.

Tonty laissa un homme pour conduire le canot et prit la route de terre pour arriver plus vite, mais la fièvre s’empara de lui, le brûlant. Quoique accablé de fatigue et ayant les jambes enflées, Tonty persévéra et marcha quand même. Pendant cette étape, les intrépides voyageurs ne vécurent que d’ail sauvage obtenu en grattant sous la neige.

Le village, habité seulement l’été, maintenant abandonné, présentait un aspect désolé.

Les blancs parcoururent toutes les huttes désertes y cherchant quelques vivres. L’on apporta à la meilleure cabane sise au bord de l’eau, tout ce que l’on trouva dans cette recherche, et l’on eut en ménageant les provisions procurées de la sorte, de quoi donner à chacun deux jointées de blé-dinde par jour et une tranche de citrouille gelée. On avait recueilli une couple de ces courges dans le wigwam du chef.

Le lendemain, lorsque Tonty et ses amis exploraient les alentours, l’homme laissé à la direction du canot aborda près de la cabane aux vivres, y entra, et voyant les vivres, lui qui n’avait rien mangé depuis vingt-quatre heures, se crut à un festin et n’épargna point le blé-d’inde.

Que l’on juge de la surprise douloureuse du chevalier à son retour en constatant la réduction marquée dans l’amas de maïs ; mais d’un autre côté, il était bien content de revoir son engagé.

Tonty fit embarquer son monde pour Michilimakinac, mais après deux lieues de navigation, le vent s’éleva et il fallut atterrir. En mettant pied à terre, on découvrit aussitôt des pistes fraîches. C’était les Poutéaoutamis qui avaient fait portage ici, pour aller à la baie des Puans. (La baie Verte). L’équipe du lieutenant de De la Salle trans-