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LA MAIN DE FER

paix. On lui donna comme otage le fils de l’un des chefs, et il se fit accompagner du R. P. Membré.

Ayant communiqué son message, Tonty revint porteur d’une réponse, suivi cette fois d’un jeune Illinois pour remplacer l’otage des Iroquois resté en arrière.

Arrivé au fort, au lieu d’accommoder les affaires, l’otage Illinois les gâta toutes en disant aux ennemis que leur effectif de guerre ne se chiffrait que par quatre cents, le reste de leurs jeunes gens étant absents pour guerroyer contre une nation voisine, et que s’ils voulaient faire la paix, ils leur donneraient une quantité de peaux de castor et quelques esclaves.

En entendant cela, les Iroquois firent venir Tonty et après mille reproches, l’accusèrent de leur avoir menti en leur déclarant les Illinois nombreux de douze cents et appuyés de plusieurs nations amies, qui leur avaient donné du secours.

De plus, où étaient les soixante Français qu’il avait dit être au village ?

Tonty se tira de ce faux pas avec difficulté, mais il eut beau dire et protester, le conseil des Iroquois accueillit sa défense avec réserve. Le même jour, l’otage des Illinois fut renvoyé pour proposer aux siens de se trouver à une demi-lieue du fort le lendemain à midi afin d’y conclure la paix.

Les Illinois furent exacts au rendez-vous et y reçurent de leurs adversaires des présents de colliers et de marchandises : le premier, pour que le gouverneur de la Nouvelle-France ne fut pas fâché de ce qu’ils étaient venus troubler leurs frères ; le second s’adressait à M. de la Salle, pour le même but ; par le troisième, ils leur juraient une complète alliance, voulant dorénavant vivre comme frères.

On se sépara de part et d’autre ; les Illinois croyant par ces présents que la paix était véritablement faite, ce qui les encouragea à visiter le fort plusieurs fois. L’un d’eux demanda à Tonty ce qu’il pensait des Iroquois.

— Vous avez tout à craindre de ces gens ; réfléchissez à leur conduite passée dans vos transactions ensemble, et voyez s’il y a sagesse de se fier à eux ! J’ai même appris que depuis l’armistice conclu entre vous, ils se fabriquent secrètement des canots d’écorce d’orme, afin d’aller vous trouver dans votre retraite dans l’Île, et vous y massacrer !… Soyez sur vos gardes !…

Les Illinois sur cet avertissement se retirèrent tout pensifs.

Six jours plus tard, le 10 septembre, les Iroquois appelèrent Tonty et le P. Zénobe, au Conseil. Malgré tous les essais du vaillant chevalier pour découvrir ces Français alliés des Iroquois qui lui voulaient du mal, il ne pouvait avoir d’éclaircissements. Dans la grande tente du Conseil, il scruta du regard les personnages assemblés, mais aucun n’avait de ressemblance avec les traits de la race Caucasienne.

Ayant pris place aux sièges qu’on leur réservait. les sages de la tribu placèrent devant l’Italien six paquets de peaux de castors, dont les deux premiers étaient pour dire à M. de Frontenac, leur père, qu’ils ne prétendaient pas manger de ses enfants, et qu’il ne fût pas fâché de la démarche qu’ils avaient faite ; le troisième était pour servir d’emplâtre à la plaie de Tonty ; le quatrième serait de l’huile pour frotter les jambes du R. P. Récollet et de Tonty à cause de la fatigue des voyages ; le cinquième, que le soleil était beau, et le sixième, de partir le lendemain pour les habitations françaises.

C’était tourné diplomatiquement.

— Quand mes frères partiront-ils pour s’en retourner en leur pays ? demanda hardiment le chevalier.

À cette interrogation inattendue il s’éleva des murmures. Plusieurs sauvages répondirent qu’auparavant ils voulaient manger des Illinois, sur quoi Tonty repoussa, du bout du pied, les présents offerts, et dit :

— Si votre dessein est de manger les enfants du gouverneur, il est bien inutile de m’offrir des présents. D’ailleurs, je n’en veux pas !

Oubliant leur imperturbabilité usuelle, les hauts dignitaires iroquois firent une grande clameur. L’Abénaki aux dispositions amicales, que nous connaissons déjà, se glissa au côté de Tonty et l’avertit en français que les hommes étaient irrités, et de ne pas les provoquer. Aussitôt les chefs se levèrent et chassèrent du conseil les deux blancs.

Le chevalier et le Récollet retournèrent à leur cabane pour y passer la nuit, se tenant sur leur garde, étant résolus de défendre chèrement leur vie si on les attaquait, et ils croyaient bien l’être.

Néanmoins, au point du jour, ils reçurent