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LA MAIN DE FER

s’ils demeuraient plus longtemps au service de cet homme, ils perdraient davantage. Ils n’avaient pas encore été payés depuis le commencement de l’entreprise et s’ils ne profitaient de l’absence temporaire de Tonty pour se rémunérer en prenant des marchandises.

Les braves engagés avaient à cœur leurs intérêts pécuniaires, et craignant de tout perdre s’ils n’acceptaient la proposition des deux séditieux, ils se livrèrent bientôt au pillage. Ils prirent tout le plus beau et le meilleur, malgré les protestations du sieur de Boisrondet, des Récollets et de trois engagés. Après la désertion du gros de la troupe, les six qui restaient fidèles s’empressèrent d’aller avertir Tonty des événements accomplis pendant son absence. Chemin faisant, deux autres décampèrent prestement, brisant d’abord les armes du sieur de Boisrondet et de son compagnon.

Cette fâcheuse nouvelle hâta le retour de Tonty à Crèvecœur, où tout n’était que ruine et désolation.

Sur la barque en construction, l’un des déserteurs avait écrit la triste fanfaronnade suivante : « Nous sommes tous sauvages ! »

Tonty ne se contenait pas d’indignation.

— Ah ! les misérables ! Ils le regretteront ! s’écria-t-il en constatant l’étendue de leur méfait.

Il dressa sur-le-champ des procès-verbaux de l’affaire et les expédia à De la Salle, par les quatre hommes qui étaient allés avec lui visiter l’éminence désignée comme site pour un fort.

Tonty avait pour mission de concilier aux intérêts de son chef les tribus environnantes. Il s’y employa avec ardeur et obtint le succès qu’il désirait, mais un événement imprévu vint presque détruire ses travaux, mettre toutes ses peines et ses démarches à néant. Ses jours même furent en danger. Mais cet événement, imprévu pour lui, n’était pas un coup du hasard : c’était un projet bien réfléchi d’un ennemi implacable !


CHAPITRE XI

DE TONTY EN DANGER


Tonty et ses hommes habitaient chez les Illinois ; lorsque la température ou leurs devoirs le leur permettaient, ils se rendaient au fort y travailler à réparer un peu les déprédations commises par les déserteurs.

Un jour de septembre, que Tonty et les autres Français s’occupaient ainsi, un jeune sauvage rentra au village hors d’haleine annonçant qu’une troupe nombreuse d’Iroquois s’avançait. Cela alarma beaucoup les villageois au teint cuivré. Et, spontanément parmi les vaillants Illinois épeurés, l’accusation contre De la Salle circula, que le voyage de celui-ci avait pour conséquence la visite des Iroquois. De la Salle était hors de leur atteinte, mais il y avait son lieutenant et quelques visages pâles tout près, eh bien ! ils paieraient pour leur chef blanc.

Poussant de fortes clameurs furieuses, une centaine d’Illinois envahissent Crèvecœur et y trouvent les Français. Ils appréhendent Tonty et en termes véhéments l’accusent de trahison. De Tonty n’avait pas eu le temps de se familiariser aux manières de ses voisins et s’embarrassait de la réponse à faire en cette circonstance, mais il se décida d’aller bravement au-devant des Iroquois avec des colliers pour montrer sa surprise de ce qu’ils venaient faire la guerre à une nation dépendant du gouverneur de la Nouvelle-France, et que M. de la Salle gouvernait comme son lieutenant.

Tonty communique son idée à ceux qui l’entourent ; on l’approuve et l’on se presse vers les Iroquois déjà aux prises avec les quatre cents Illinois restés en arrière pour défendre le village.

Accompagné d’un jeune Illinois, Tonty s’avance entre les corps des combattants. Les Iroquois les voient venir d’un œil soupçonneux et redoutent un piège. Lorsque le chevalier arrive à portée de fusil, ils font une grande décharge et une balle lui traverse la poitrine. Leur intention est évidente, aussi Tonty engage son compagnon à se retirer, puis, seul, il atteint les premiers rangs de l’ennemi. On le saisit et on lui ôte le collier qu’il porte. Des sauvages se pressent autour de lui, l’injurient et le menacent. Il en découvre un avec surprise, dont les traits recouverts d’une couche de peinture à la façon indienne, ne lui paraissent pas ceux d’un Tsonnontouans, mais plutôt d’un Européen.

À l’instant précis, cet homme, au travers de la foule entourant Tonty, lui plonge un couteau dans le sein gauche et lui coupe une côte en criant : « Vendetta ! por Aniello ! »

Mais la main droite du chevalier, s’abat