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LA MAIN DE FER

portage de six milles environ qui conduit à la source de la rivière des Illinois. Remettant les embarcations à flot, ils descendirent ce cours d’eau sur un parcours de deux cent cinquante à trois cents milles, jusqu’à un village dont les hôtes indigènes étaient alors absents en chasse, et comme les vivres des Français étaient épuisés, ils s’approprièrent le contenu de quelques caches de blé d’Inde appartenant aux Sauvages.

Durant cette route, une partie des gens de La Salle n’en pouvant supporter davantage les fatigues prirent la résolution de déserter encore. Et, à cet effet, ils attendirent le retour des ombres protectrices de la nuit, mais un grand froid qui survint leur fit ajourner leur dessein. Au matin, De la Salle continuait la descente de la rivière, et à trente milles au-dessous du village, il trouva les Peaux-Rouges.

Ici la rivière s’élargit en un lac (Péoria) et les blancs pour donner un caractère plus imposant à leur flottille se déployèrent.

À la vue des Français, les Illinois s’imaginent être en présence de leurs redoutables ennemis, les Iroquois ; ils se mettent en défense et envoient leurs femmes dans le bois voisin, mais reconnaissant les Français qui s’approchent toujours, ils font revenir les sauvagesses et offrent le calumet de la paix à De la Salle et à Tonty en signe d’amitié. Ceux-ci, alors, leur donnent des marchandises pour le blé qu’ils avaient pris.

Cette alliance avec les Illinois eut lieu le 3 janvier 1680.

De la Salle commença la construction d’un fort à cet endroit. Au cours de ces travaux, il connut une seconde fois les douleurs de l’empoisonnement ; heureusement qu’on put le tirer d’affaire à l’aide d’un antidote qui lui avait été donné en France par un ami, et qu’il avait la précaution de porter constamment.

Pendant qu’il subissait les effets du toxique et demeurait forcément sur sa couche dans sa tente, les mécontents en profitèrent pour disparaître sans même dire bonjour !

Cette désertion chagrina beaucoup l’intrépide explorateur, à cause de l’effet qu’elle pouvait produire sur l’esprit des Illinois : car, depuis sa présence en leur pays, ses ennemis y avaient répandu le bruit qu’il était l’ami des Iroquois.

Aussitôt rétabli, De la Salle fit mettre une barque en chantier pour descendre la rivière vers le sud.

Le fort étant terminé, il fallait lui donner un nom. À ce moment, le chef de l’expédition, l’homme si fortement trempé, assailli par des idées noires, succomba au découragement en pensant aux désertions de ses employés ; à la tentative d’empoisonnement sur sa personne ; aux rumeurs avant cours chez les Illinois au sujet de sa prétendue amitié avec les Iroquois, et par-dessus tout cela à l’absence de nouvelles du « Griffon ».

Il ne faut donc pas s’étonner du nom qu’il donna au fort : Crèvecœur !

Secouant son abattement, il résolut d’aller aux nouvelles et de rentrer au fort Frontenac.

Il envoya, auparavant, le R. P. Hennepin avec le sieur Acau pour découvrir la nation des Sioux, à quatre cents lieues au nord des Illinois sur le Mississippi, puis il se mit en route, accompagné de cinq de ses gens, le 22 mars 1680, laissant De Tonty pour commander à Crèvecœur.

Afin que ses gens, porteurs de nouvelles du « Griffon », pussent le retrouver facilement, De la Salle, à la mode d’Ariane et du Petit-Poucet, avait semé sur son passage aux Illinois, des indications détaillées, sous forme de lettres attachées très en vue aux branches des arbres.

En s’en retournant, il rencontra deux hommes, envoyés l’automne précédent à Michilimakinac, pour obtenir des nouvelles de la barque. Ils l’assurèrent qu’elle n’avait pas passé là ; ce qui le détermina à continuer, dépêchant les messagers à Tonty de lui porter l’ordre d’aller à l’ancien village indien pour y visiter un rocher, afin d’y construire un fort solide.

Tonty commandait dix-huit personnes, y compris les Pères Récollets Gabriel de la Ribourde et Zénobe Membré.

À la réception du message de son chef, Tonty prit quatre hommes avec lui et s’en alla examiner le site indiqué pour un fort en amont de la rivière.

Les deux nouveaux venus jugeant le moment opportun, Tonty étant absent, achevèrent la défection de la garnison de Crèvecœur en racontant que les projets ambitieux de De la Salle étaient réduits à néant par la perte du « Griffon » ; que ses effets venaient d’être saisis à Cataracouy par des créanciers de Ville-Marie, et que par conséquent,