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LA MAIN DE FER

Pins et Au-Pelé. Le 10 au matin, de bonne heure, la vigie signala trois colonnes de fumée, à l’horizon, à tribord. C’était le signal convenu avec Tonty. Plus tard, dans la journée, le vaisseau passa entre les îles Grosse et Bois-Blanc, et au crépuscule entra dans le lac Sainte-Claire.

Le 23, le « Griffon » fendait l’onde du lac Huron.

Immédiatement après son entrée dans le lac Huron, le « Griffon » fut soumis à une dure épreuve. L’une de ces terribles tempêtes qui balaient souvent ces immenses nappes d’eau, s’éleva et mit le navire en danger, menaçant de l’engloutir. Tous à bord avaient perdu l’espoir de survivre à cette tourmente, lorsque l’on songea à implorer le secours de Saint-Antoine de Padoue, le patron des marins, et c’est presque comme miracle que le bâtiment luttant contre le vent put atteindre Michilimakinac, le 27.

Quatre des engagés de M. de la Salle avaient été envoyés en avant, à ce poste, pour y faire un peu de traite. Ils avaient dépensé, gaspillé, les biens qui leur avaient été confiés et s’étaient même attiré l’inimitié de certaines gens de la place.

Le 29, Tonty ayant reçu ordre de son chef partit avec six hommes bien armés pour opérer l’arrestation de déserteurs au Sault-Sainte-Marie.

Il en prit deux, les autres lui échappèrent.

Cinq jours avant le retour de Tonty, le « Griffon » mit la voile, traversa le détroit de Michilimakinac et apparut dans le lac des Illinois (Michigan). À quarante lieues du poste qu’il venait de laisser, au sud, se trouve la baie Verte. De la Salle était là. Il fit embarquer des fourrures évaluées à douze mille livres et le 18 renvoya le bâtiment au Niagara.

Quelques jours auparavant, un étranger au teint basané, parlant français avec un accent italien, se présenta au camp de De la Salle, sous le titre de pilote et offrit ses services comme tel. Après un entretien avec ce personnage, De la Salle résolut de l’engager, convaincu que l’homme connaissait la navigation d’un navire comme le « Griffon ». Cet étranger dit s’appeler Luigi Aniello. Le nom, inconnu à De la Salle, ne pouvait lui inspirer aucune méfiance.

Lorsque le navire repartit, De la Salle lui donna cinq bons matelots. Le deuxième jour après son départ de la baie Verte, une violente tempête se leva, qui ballotta sans merci la pauvre barque et l’amena vers le nord du lac des Illinois. Au début de la tempête, des Poutéouatamis halèrent le vaisseau et conseillèrent au pilote de mettre en panne et d’attendre une température plus favorable.

Plus tard, ces sauvages rapportèrent qu’ils virent le « Griffon » la dernière fois, à une demi-lieue des terres, le jouet des vagues furieuses, et gagnant rapidement un banc de sable à proximité des îlots en haut de l’île au Castor[1].

Tonty dans son « Mémoire » dit : — « De la barque, on n’en a jamais eu depuis aucune nouvelle ».


CHAPITRE IX

LA GROTTE MYSTÉRIEUSE


Le Conseil des Poutéouatamis suivi par Luigi aurait sauvé le « Griffon » : abrité sous les îles, à l’extrémité supérieure du lac des Illinois, la barque mise en panne aurait pu attendre une accalmie et naviguer ensuite à destination.

Mais le pilote cédait à d’autres motifs en voulant poursuivre sa route. Il ne croyait pas non plus, à l’imminence d’une catastrophe, se berçant plutôt de l’espoir de s’en tirer heureusement. Il avait plusieurs fois connu des moments pareils sur la Méditerranée.

Le « Griffon », de bonne heure désemparé par la violence des éléments n’obéit que difficilement à la barre. L’un des matelots enlevé par-dessus bord par une vague qui balaya tout le pont, affaiblit beaucoup l’équipage, déjà assez restreint. Le bâtiment craqua dans toute sa membrure avec un bruit sinistre, dans l’après-midi, et s’arrêta, échoué sur un banc de sable, puis, rapidement fit eau. Dès lors, sa complète destruction n’était plus qu’une question d’heures.

L’un des quatre matelots survivants se jeta à l’eau sur une grosse poutre, il n’y avait pas de canot de sauvetage à bord ; mais quelques secondes après, la poutre revînt seule,

  1. C’est la dernière mention que l’on ait de ceux qui ont vu le « Griffon » à son voyage de retour au Niagara. L’hypothèse est que la barque, échouée sur ce banc de sable, fut bientôt disloquée et mise en pièces par la tempête, qui dura cinq jours.