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LA MAIN DE FER

CHAPITRE VIII

LE « GRIFFON »


L’Éveillé se présenta au fort Niagara en même temps que Lemieux, hors d’haleine, y pénétrait. Le récit de l’un corrobora celui de l’autre, et, comme on peut le croire, fit sensation parmi la garnison.

De Tonty prit immédiatement une dizaine d’hommes pour voler au secours des assiégés à la crique Cayuga. Malgré leur longue course, L’Éveillé et Lemieux firent partie de la troupe. Ils voulaient voir la défaite et la fuite des Iroquois.

De Tonty, constatant la grande habileté dont fit preuve le sergent en organisant le plan de défense, l’en félicita chaudement en présence de ses subalternes, et lui promit de rapporter l’affaire à M. de la Salle.

L’incident des fusils et de la poudre mouillée ne fut pas éclairci. Tonty lui-même interrogea les hommes, mais ne découvrit rien.

— Les Tsonnontouans ont un affidé, un espion parmi nous, dit le sergent. Comme nous ignorons qui c’est, une surveillance rigoureuse nous incombe pour découvrir ce misérable.

— Monsieur le chevalier, j’ai idée que ce serait une bonne chose de faire tout de suite l’appel de notre monde… Si tous répondent, eh ! dame !… faudra bien que nous ayons un traître parmi nous… mais, pourtant !… s’il manque quelqu’un… je ne dis pas que ça nous mettra mieux… seulement, nous aurons un point de départ dans la cause…

Ceci se passait à l’anse Cayuga, au camp des Français, après que les Iroquois eurent pris la fuite.

— Vous avez raison. Faites l’appel !… S’il y a des absents…

Au milieu d’un profond silence, l’appel commença. Chacun répondit à son nom ; personne ne manquait.

— C’est singulier, m’sieu le Chevalier, mais je ne puis croire à la culpabilité d’un ou de plusieurs de mes ouvriers… Si je leur confiais toute l’histoire ?… Peut-être nous fourniraient-ils quelque indice ?…

— Faites, sergent !

LeVerdure s’adressa aux gens qu’il commandait au moment de l’attaque :

— Lequel d’entre vous peut nous aider à connaître la vérité au sujet de la poudre mouillée ?…

Personne ne répondit.

Mais enfin, il y en eut un qui s’enhardit et raconta que la nuit précédente, il avait cru discerner une ombre se mouvoir, près du « Griffon » ; croyant que c’était l’une des sentinelles en faction, il n’en avait pas fait plus de cas. Les événements survenus lui rappelaient l’incident.

Les sentinelles questionnées à leur tour, déclarèrent n’avoir rien vu ni entendu d’anormal.

Il fallut se contenter de ce peu, et surveiller le camp.

À la suite de cette échauffourée, De Tonty poussa activement les travaux du navire. Aussitôt qu’il fut réalisable, le lancement eut lieu. Le « Griffon » ancré en mi-chenal de la rivière, reçut sa mâture et d’autres œuvres. Là, Tonty redoutait moins une seconde visite agressive des Sauvages.

L’armement du vaisseau comprenait sept coulevrines et quelques mousquets tromblons.

Le 7 août 1679, une brise du nord-est enfla les voiles du quarante-tonneaux, baptisé le « Griffon ». Abandonnant son mouillage, il remonta la rivière jusqu’au lac Érié.

Un griffon sculpté décorait la proue, en l’honneur des armes du comte de Frontenac, gouverneur-général du Canada, et protecteur de M. de la Salle.

Entre la falaise couronnée aujourd’hui par les ruines du fort Porter et l’îlot depuis nommé le Rocher, le courant trop puissant arrêta le navire. Douze hommes descendirent sur la rive sablonneuse de l’est, et le halèrent avec de grands efforts.

Un groupe de Tsonnontouans suivait, intéressés, la marche du « Griffon ». L’étrange spectacle les remplissait d’admiration.

Rendus ou lac Érié, les haleurs embarquèrent.

L’équipage, reconnaissant, entonna le Te Deum. pendant qu’une salve de canons et de mousquets éclatait. Puis, sans pilote ni carte, le cap fut mis bravement vers le sud-ouest, et la barque, sous la poussée d’une bonne brise, vogua hardiment dans l’inconnu.

Deux semaines auparavant, Tonty, suivi de cinq hommes, s’était mis en route pour aller à la rencontre des quatorze engagés, dont De la Salle avait ordonné la concentration à l’embouchure de la rivière du Détroit.

Le Griffon était monté par trente-deux personnes, y compris deux Récollets.

Le 9 août, on dépassa les Pointes-aux-