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LA MAIN DE FER

— Eh ! oui !… de haches et de fusils !

— Tu répliques à merveille !… seulement, si ces peaux-cuivrées n’étaient pas ivres-morts à l’heure qu’il est, je ne te questionnerais pas comme je le fais !… Pour continuer… dis-moi lequel est le plus dangereux d’une hache ou d’un fusil ?

— Tu le sais bien, toi-même !

— Dis donc toujours !

— Le fusil !

— Alors, si les Tsonnontouans attaquaient nos amis, ils pourraient nous causer beaucoup de mal avec leurs armes offensives ?

— Infailliblement !

— Et puis, s’ils n’avaient pas de fusils ?

— Oui… mais ils en ont !

— Ils n’en auront pas longtemps… je vais les leur enlever !… D’abord, pour que la farce soit meilleure, emparons-nous du chef ; ligotons-le solidement, et donnons-lui notre place !

Léon approuva cette dernière proposition avec gaieté. Au fond du cœur, il n’était pas fâché que le renégat goûtât à leur genre de supplice.

Tous deux s’avancèrent donc à pas de loup vers leur personnage. Avec un ensemble parfait ils le saisirent, le bâillonnèrent et le ficelèrent de la belle manière, malgré ses efforts, ses sauts de carpe pour s’échapper de leurs mains.

— Maintenant, dit Frédéric, aux fusils, et prenons garde de réveiller les Sauvages !

— Les armes dont nous nous emparons… où les cacher ?… Tu ne les emportes pas ?…

— Non-dà !… Déposons-les dans l’un des canots ; ces fusils-là serviront à repousser l’attaque projetée.

— Ton idée est magnifique !

Lorsque tous les fusils eurent été placés dans un canot, Frédéric y monta disant à Léon :

— Nous contournerons l’extrémité sud de l’île, ce sera moins long que de passer par le nord. Toi, tu vas marcher le long du rivage, hâlant sur une corde que je fixe à l’avant de ma barque ; tu iras lentement afin d’éviter les écueils à fleur d’eau !…

— Si on emmenait tous les canots ! remarqua Léon.

— Tu as raison !… De cette manière, ça les retardera dans l’exécution de leur programme.

— Et il y aura toujours ça de gagné ; le temps de parvenir à nos amis, les mettre en garde et nous préparer à une vigoureuse défense.

Le voyage commença. Léon docile, attentif aux directions de Frédéric marchait lentement. Ce dernier à l’avant de son léger esquif, cherchait à éviter d’un coup savant d’aviron les obstacles de la route, consistant en roches et gros cailloux, dont les pointes acérées, presque à la surface de la rivière, étaient un danger continuel.

Soudain, au bout de l’Île, le courant très rapide poussa l’embarcation montée contre un écueil, lequel perfora la mince coque et l’eau entra en bouillonnant.

Le nageur s’empressa d’évacuer l’embarcation et de sauter dans la suivante. Il n’eut pas le temps de sauver les armes à feu.

Hors cet événement, leur rentrée au chantier s’opéra sans encombre, mais la nouvelle qu’ils apportaient trouva plusieurs incrédules. L’on crut à une mystification — Frédéric aimait à jouer des tours, et les rapports que l’on avait confirmaient tous une apparente bonne volonté de la part des Iroquois voisins — mais sur l’avis positif et les réitérations des deux hommes, ceux du chantier eurent un commencement de crainte.

C’était LaVerdure, — le sergent LaVerdure, — qui avait été chargé de la direction du chantier en l’absence de Tonty. C’était un solide gaillard, ne craignant aucunement les sauvages de n’importe quelle tribu.

— Ah ! crime d’Adam ! s’écria-t-il, qu’ils viennent ces jaunes-là pour brûler notre « Griffon » !… s’ils veulent se faire griffer, numéro un !… Nous avons de quoi les recevoir… Mais, ils ne viendront pas s’ils n’ont plus de fusils ?

— Pardon, sergent, dit Frédéric, moi je crois qu’ils nous rendront visite, quand même !… Voyez-vous, ils pensent nous surprendre ; premier avantage en leur faveur ; ensuite, ils sont beaucoup plus nombreux que nous…

— Dans ce cas, je vais faire distribuer nos armes à feu !

Il appela à son aide deux des hommes occupés à la construction du navire : Roy et Provost, puis se tournant du côté des fervents disciples de la pêche, il dit :

— Hier soir, le temps présageait de la pluie ; j’ai fait arranger une espèce de magasin, dans la coque, pour y abriter notre poudre et nos armes. Roy et Provost vont nous