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LA MAIN DE FER

ter à la tentation si puissante chez ces êtres, montèrent leurs factions, l’un muni d’une corne de buffle pleine comme une urne, du précieux liquide ; tel autre, d’un cornet fabriqué d’écorce de bouleau, et un troisième, d’un pot en terre brune, grossièrement façonné.

Tout le monde buvait hors le chef et les prisonniers.

— Pourquoi me poussais-tu du coude et du pied tout à l’heure ? demanda Léon à son camarade, dès que le chef fut assez éloigné pour ne pas les entendre.

— Pourquoi ?… pour t’empêcher de parler, donc !…

— Tiens !… je le comprends bien… mais tu avais d’autres raisons ?…

— Oui !

— Eh bien ?

— Je te les dirai tout à l’heure.

— Pourquoi pas tout de suite ?

— On nous remarquerait probablement, et il ne le faut pas !… D’ailleurs, c’est déjà assez causer sur ce ton-là !… Ferme ta boîte !…

Quels rudes gosiers que ces Tsonnontouans, disciples de ce renégat Français ! Comme ils buvaient sec !

Enfin, la liqueur enivrante les terrassa, et, l’un après l’autre, bien lestés d’alcool, ils tombèrent ivres-morts. Les sentinelles, leurs provisions consommées, abandonnèrent leur poste pour se ravitailler.

Frédéric observait ces choses, et le moment propice venu, il raconta à Léon ce que lui avait narré Émery. La détonation sous bois, ça, c’était une idée d’Émery qui parlait d’avertir M. de Tonty des machinations de ces diables à peau-cuivrée. Ce coup de feu détournait leur attention et lui permettait de parvenir aux canots sur la rive, sans être aperçu. On lui fit la chasse, par bonheur sans succès, puisque les chasseurs revinrent les mains vides.

— Maintenant, ajouta Frédéric, Émery a fui, suivons son exemple !

— Dire et opérer sont choses différentes !

La première est facile, la seconde ne l’est pas autant !

— Le chef n’est pas ivre !… Peut-être ne dort-il pas ?… sachant bien que ses hommes vont noyer leurs forces et leur raison dans l’eau-de-vie !

— Si personne ne nous surveille ?…

— Battant ! Ce sera lui, n’aie pas peur !… Ou bien, il compte beaucoup sur la solidité de nos liens !

— Je vais voir s’il n’y a pas moyen de t’en débarrasser, dit Léon. Tourne-toi sur le côté et présente-moi ton dos. Avec mes dents j’espère réussir à couper les lanières autour de tes poignets. Je l’avoue ce sera un travail lent et pénible, mais que ne fait-on pas pour recouvrer la liberté ?… Après, ce sera à ton tour de me libérer !…

Il entama donc à belles dents le cuir solidement noué aux bras et poignets de Frédéric. Les lanières étaient sèches et dures comme un fil de laiton, mais si elles avaient été mouillées la tâche de Léon eût été de beaucoup plus difficile.

Au bout de quelques minutes, force lui fut de s’arrêter, les dents excessivement agacées.

— Ah ! si j’avais les incisives du castor, dit-il.

Il se remit à l’œuvre cependant et mâchonna courageusement les cordes.

De temps en temps, il se reposait. Alors, Frédéric se raidissait dans un effort suprême pour rompre ses liens, mais chaque fois les lanières résistaient, n’étant point encore assez rongées.

Un cri étouffé, cependant, d’une intonation joyeuse, partant des lèvres de Frédéric, annonça enfin au travailleur fatigué, le couronnement de son labeur pénible.

Les liens avaient cédé à une pression plus énergique. Frédéric en quelques minutes, débarrassé de ses entraves, respira allègrement. Ensuite, il voulut rendre le même service à Léon, et, l’on comprend que celui-ci ne tarda guère à partager la liberté de son compagnon.

— Qu’allons-nous faire à présent ! demanda Frédéric.

— Parbleu !… nous sauver…

— Pas si vite !… Moi, avant de mettre ton conseil en pratique, j’aimerais, bien gros, à jouer un tour à nos persécuteurs !

— Eh ! oui !… et puis te faire repincer !…

— Écoute-moi bien, mon vieux !… Tu sais quel coup ces diables-là ont monté contre nos gens et le navire de M. de la Salle ?…

— Sans doute !… même que c’est toi qui me l’as dit tantôt !…

— Bon !… tu réponds comme un livre qui est imprimé !… Nos sauvages en attaquant le chantier du « Griffon », seront-ils armés ?…