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LA MAIN DE FER

CHAPITRE VI

DEUX HAINES MORTELLES


Nous avons dit l’attaque contre De la Salle par Jolicœur et un autre coupe-jarret, un soir, à Paris, et l’intervention providentielle de M. de Tonty, juste à point pour sauver son futur capitaine. La main-de-fer de l’Italien s’abattant avec force sur le chef des deux bandits les avaient littéralement assommés. Un troisième misérable, prenant la fuite, s’évita un sort semblable. De la Salle avait cru ses deux assaillants frappés mortellement par son sauveur Tonty, et reconnaissant en l’un des deux, son ancien valet, accusé comme l’on sait d’avoir voulu l’empoisonner, il s’en était éloigné en s’exprimant :

— « Le drôle n’a que ce qu’il mérite ! »

Ils n’étaient pas rendus au coin voisin que le bandit qui s’était sauvé, et, probablement se cachait dans l’embrasure de quelque porte cochère ou dans quelque ruelle, à peu de distance, en constatant qu’on ne le poursuivait pas, se hasarda hors de sa cachette et revint sur ses pas jusqu’à ses deux compagnons qu’il trouva par terre, inanimés et baignant dans une large mare de sang.

Ces gens se portent secours lorsque l’occasion l’exige. Personne autre le leur donnerait. Or, s’assurant que la vie battait encore faiblement dans la poitrine de ses amis, il s’employa sans délai à les soulager et songea à les faire enlever de là avant le passage du guet.

Il courut chercher l’aide de compagnons, et, en peu de temps, les deux blessés furent transportés en un lieu sûr hors d’atteinte des gens du guet ou de la police. Des soins sûrs leur furent donnés. Le lendemain ils reprenaient connaissance, mais leur rétablissement nécessita plusieurs semaines.

L’Italien se remit plus vite que Jolicœur ; celui-ci avait été plus maltraité dans l’application de la main-de-fer.

Les deux bandits durent garder leur chambre tant qu’il leur fut impossible de se tenir sur pieds et de marcher sans chanceler.

Jolicœur plus envenimé que jamais contre De la Salle, jurait de s’en venger en proférant force imprécations à son adresse.

Alors, le cœur trop rempli, trop chargé du fiel de la haine et dans l’inactivité lourde de leur réclusion, Jolicœur fit le récit à l’Italien de tous les griefs qu’il avait contre De la Salle : l’injuste accusation et la peine qu’on avait voulu lui faire subir, pour ce dont il se prétendait innocent.

Lorsque Jolicœur fit mention du crime qu’on lui imputait, son compagnon sursauta, et, le regard dur et haineux, il s’écria :

— Serais-tu, toi aussi, un empoisonneur maudit ?

Jolicœur s’en défendit positivement.

— Je n’ai pas eu de chance, dit-il. J’étais un pauvre valet. Mon maître s’est trouvé malade, et l’on a crié à l’empoisonnement. S’il l’a été, je n’en suis pas l’auteur. Mon maître n’était pas aimé, et si l’on s’est servi de poison pour s’en défaire, le jeu s’est accompli secrètement, et, comme j’étais auprès de lui, à cause de mon service, j’ai été le bouc émissaire… Mais, dis-moi, Luigi, pourquoi t’est tu emporté si violemment et si vivement il y a un instant au mot d’empoisonnement ?… Qu’y a-t-il ?…

Luigi eut un moment d’hésitation. Puis, passant la main sur ses yeux comme pour en chasser une pénible vision, il dit :

— Eh bien ! je vais te le dire !… C’est un secret que j’ai gardé jusqu’ici, mais quelque chose me dit que tu m’aideras dans ma vengeance, car j’en ai une moi aussi, à exercer, et elle sera terrible !… Écoute bien : Tu ne me connais que par mon premier nom Luigi… Je m’appelle Aniello. Mon père Thomas Aniello, plus connu sous la dernière syllabe de son nom de baptême et de son nom de famille : Massaniello, était un paysan-pêcheur napolitain. En 1647, les Lazzaroni de Naples furent incités, par mon père, à se révolter contre le vice-roi d’Espagne à cause de ses lois arbitraires et cruelles. Deux hommes jouissant d’une grande popularité se joignirent à mon père et prirent une part importante dans le mouvement d’insurrection. L’un était le fameux peintre Salvator Rosa, et l’autre Lorenzo Tonty, banquier napolitain qui s’était acquis une renommée comme financier. Tonty s’empara de la forteresse de Gaëte dans les faubourgs de Naples, et s’y maintint durant le règne éphémère de sept jours de Masaniello.

Les agents du vice-roi mirent tout en œuvre pour se défaire de mon père. Un complot ourdi contre la vie de celui-ci eut pour fin son empoisonnement.

Qui en fut l’auteur ?

Le banquier napolitain qui se sauva du pays et se réfugia en France !