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LA MAIN DE FER

c’était à peu près la même chose : ses instants étaient comptés, et Caron l’attendait au gouffre du Niagara.

De la contemplation de cette masse d’eau, arrivant par des rapides si étrangement agités aux deux cataractes, où elle se précipitait avec un fracas saisissant, s’émanait une griserie, une fascination attirante, dangereuse et quasi irrésistible. Les Français le ressentirent. Les eaux se choquant à tout moment dans leur course furibonde, créaient en leurs heurts des gerbes superbes, des fusées étincelantes et prismatiques sous les effluves dorées du soleil, phénomènes qui se renouvelaient sans cesse aux mêmes endroits, comme s’ils eussent eu un caractère permanent, et que l’onde ne se fût jamais déplacée.

L’effet avait un cachet fascinateur très sensible, et MM. de la Motte, Hennepin et leurs compagnons, s’apercevant qu’ils subissaient cette influence, battirent en retraite, et regagnèrent leur barque.

Des glaçons, flottant au gré du remous, frappaient comme autant de béliers, les flancs de la barque et menaçaient de l’éventrer.

De la Motte comprit le danger tout de suite, et s’avisa d’y parer. Il fit haler le navire plus près de terre, au moyen d’un câble et du cabestan ; le câble se brisa. Le maître-charpentier en prit un plus fort, en fit une ceinture et l’équipage s’employa en un commun effort pour atteindre la côte : Eh hop ! Ils réussirent, après beaucoup de difficultés.

Cela accompli, le commandant songe à la construction d’une habitation pour l’hiver. Malgré le grand froid chacun travaille avec courage, et bientôt l’édifice est terminé.

On y transporte les provisions, armes, bagage, etc., apportés dans la barque, et enfin, l’on entoure l’habitation d’une palissade de pieux, mesure prudente, rendue nécessaire par le voisinage des Iroquois. Le sol était gelé ; les travailleurs, afin d’y pouvoir enfoncer les pieux, faisaient bouillir de l’eau qu’ils versaient sur la terre pour l’amollir.

Seize hommes diligents, en six jours, peuvent accomplir une jolie somme d’ouvrage. Leur principal labeur et le plus important étant achevé, le Récollet célébra la première messe au Divin Maître, dans ce coin du Canada. C’était le 11 décembre.

De la Motte avait encore pour mission de se concilier les Iroquois par des présents et des promesses, car ils regarderaient certainement d’un œil farouche l’établissement des Français au Niagara. Il partit donc un matin avec le religieux et plusieurs hommes pour le village des Tsonnontouans, situé à deux journées de marche des chutes du Niagara. Aux approches du village indien, leur présence fut signalée et leur arrivée souleva des acclamations variées.

Que voulaient les Français ?

Voir le vaillant chef des Tsonnontouans et fumer avec lui le calumet de la paix.

On conduisit aussitôt la petite troupe dans la cabane des sachems, où bientôt le grand chef de la tribu et ses conseillers parurent. Les sauvages s’assirent par terre, avec la gravité qui leur est ordinaire. Le calumet circula ; chacun à son tour tira solennellement une bouffée de fumée qu’il soufflait au visage du voisin, puis le haut dignitaire des Iroquois s’informa de ce qui lui valait l’honneur de la visite des visages pâles.

De la Motte se leva et annonça qu’Ononthio désirait entrer en relations plus intimes avec eux.

Pour cela, les Français venaient s’établir au Niagara y ouvrir un comptoir pour traiter avec eux. Ils y trouveraient toutes sortes de marchandises à des prix aussi favorables que ceux des Hollandais d’Albany et des Anglais de Boston.

Les Tsonnontouans ayant les Français à proximité auraient un débouché facile pour leurs pelleteries.

De la Salle ferait construire un grand canot sur le lac Érié, ce qui rendrait une alliance avec lui encore plus importante.

À la fin de chacune de ses propositions, De la Motte introduisait un ballot contenant des présents, lesquels étaient bien accueillis comme on peut le croire.

Mais les Peaux-Rouges remirent leur réponse au lendemain, car il ne font rien sans avoir délibéré au préalable.

La séance à huis clos des Iroquois fut orageuse ; plusieurs des ennemis irréconciliables de la race française s’opposèrent énergiquement à traiter avec les étrangers. Leur inimitié provenait sans doute de leur contact avec les Hollandais et les Anglais. Cependant, pour cette fois le parti modéré l’emporta et le conseil des sachems accepta l’alliance proposée.

L’un des chefs subalternes, sur l’ordre d’un