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LA MAIN DE FER

des enfants. Soit en tout un effectif d’environ une trentaine d’âmes. La navigation sur l’Atlantique, très lente alors, prit deux mois entiers pour la traversée, car ce n’est que le 15 septembre suivant que leur navire jetait l’ancre devant Québec.

L’automne allait bientôt commencer et De la Salle ne voulait pas perdre une seule journée inactive. Aussitôt descendu à terre, il envoya ses gens au fort Frontenac, et remit au père Hennepin, récollet venu de France avec lui, une lettre d’instructions et d’ordres pour M. de la Motte qui commandait au fort. Quant à lui et son lieutenant, ils restèrent une semaine à Québec pour conclure certaines transactions urgentes couvrant les opérations futures de Cavelier de la Salle vers l’ouest.

Presque tout de suite, Tonty fut à même de constater l’animosité que quelques personnages très en vue nourrissaient envers son chef. Cela le froissa, lui, dont le caractère était droit et loyal, et il résolut autant qu’il le pourrait de s’opposer à ces projets hostiles.

De la Salle s’était construit une barque de dix tonneaux sur le lac Ontario, — ou, comme on l’appelait alors, le lac Frontenac , mais il comprit que pour faciliter ses entreprises à l’ouest, la nécessité d’un bateau plus grand, s’imposait. Il fallait de plus que ce navire put naviguer en amont des chutes du Niagara.

Il envoya le sieur de la Motte avec seize hommes, charpentiers et autres artisans, pour la construction de ce vaisseau en haut des chutes, et établir en même temps un poste à l’embouchure de la rivière de ce nom.

De la Motte, le père Hennepin et les seize Français partirent de Cataracouy, le 18 novembre 1678, dans leur barque. Ils côtoyèrent le littoral nord du lac jusqu’à ce qu’ils atteignirent l’endroit où se trouve Toronto aujourd’hui.

Des vents contraires, des tempêtes qui sévirent vigoureusement, forcèrent l’équipage de s’abriter dans la baie de Toronto et d’attendre patiemment le beau temps. Enfin, le 5 décembre, ils mirent le cap au sud, et le lendemain, l’étrave de leur navire fendait les ondes de la rivière Niagara.

Les Français atterrirent au bas des rapides, où est Lewiston moderne, et, de la Motte et le père Hennepin accompagnés de trois ou quatre hommes de l’équipage, gravirent la falaise escarpée qui dominait la rivière à cet endroit, et se dirigèrent vers les chutes.

Le panorama s’étendant à perte de vue, attirait l’attention des voyageurs. Au loin, au Midi, le regard était ébloui par une nappe agitée et étincelante sous les réverbérations du soleil. Une île taillée en pointe, comme un coin, séparait l’onde fuyante en amont des chutes, et se terminait à son extrémité septentrionale par d’énormes rochers surplombant l’abîme, formant ainsi deux puissantes cataractes, dont les voix tonnantes jetaient dans les airs, un vacarme assourdissant.

À l’orient et à l’occident, des bouquets de chênes et de sapins balançaient tristement leurs bras décharnés, au gré du souffle de Borée.

Le vert tendre des gazons s’était bronzé, et, par endroits le sol disparaissait sous des lambeaux d’hermine ; l’hiver au front neigeux avait déjà donné distraitement de grands coups de pinceau dans ce paysage grandiose.

Soudain, l’attention des blancs fut attirée par une scène d’un autre genre ; cette nature morte qu’ils contemplaient venait de s’animer. Une scène de vénerie se déroula sous leurs yeux.

Des chasseurs sauvages débouchèrent de l’un des bosquets d’arbres décorant le panorama que les Français admiraient encore. Ces Nemrods poursuivaient un magnifique dix-cors. L’animal arriva sur la berge et la vue de l’onde rapide et bouillonnante l’arrêta brusquement. Il voulut fuir d’un autre côté, mais les sauvages s’étaient déployés et lui barraient la route. Alors, courageusement, le cerf s’élança dans la rivière pour la franchir à la nage. Mais le courant est tellement fort que rien ne peut lui résister, et bientôt la vaillante bête épuisée est entraînée vers le gouffre redoutable.

Le dix-cors dans ses efforts désespérés pour se tirer du danger où il venait de s’engager, s’était rapproché de la berge. Les chasseurs Tsonnontouans s’en étant aperçus voulurent se saisir de lui à l’aide de cordes ; courant le long de la rivière, ils essayaient à l’aide de leurs longues lanières de cuir, de capturer le cerf. L’un d’eux, soit excès de zèle, soit imprudence, s’avança trop sur le bord, car un éboulement se produisit sous ses pieds, et, en un clin d’œil il fut précipité dans l’abîme. Nous allions dire dans le styx ;